Publication de « Contre-censures » par Jean-François Revel, recueil d'articles
PAMPHLETS
Un personnage dangereux
« Il nous offre le plaisir le plus rare : goûter des idées sans être d'accord avec elles ; et la lecture la plus agréable : celle d'un style rapide qui se lit lentement. »
Ce jugement porté par J.-F. Revel sur E.-M. Cioran, on est tenté de le lui retourner après avoir lu le recueil d'articles qu'il a intitulé « Contre-censures ».
Réunir des articles est toujours une entreprise périlleuse. Un journaliste est condamné, disait Léon Blum, à se répéter ou à se contredire. Mais l'éventail de J.-F. Revel, celui de ses connaissances et celui de ses intérêts, est assez largement ouvert pour qu'il échappe à ce danger.
Traitant, à la faveur de l'actualité, de politique, d'art, de religion, de littérature, de philosophie, d'enseignement, de mœurs, et — curieusement — de Luis Mariano, à qui c'est faire bien de l'honneur, il convie en somme le lecteur à regarder comment fonctionne un esprit libre. Quoi de plus rare aujourd'hui, et de plus provocant ?
Le sacré lui est étranger. Sous ses yeux, le roi est toujours nu, qu'il se nomme de Gaulle, Malraux (« Le ministre de la C... »), Sartre (« Lénine aurait pu accepter le Nobel sans risque d'être confondu avec Bergson »), ou Lévi-Strauss (« Une rigueur qui ressemble à de l'amidon plutôt qu'à du marbre »). D'ailleurs, il ne reconnaît pas de roi, ne pratique aucun culte, ne fréquente aucune paroisse. Et ce n'est pas la fureur toujours ambivalente de l'iconoclaste qui l'anime : c'est plutôt l'étonnement. Ce qu'il voit, comment les autres ne le voient-ils pas ? Il y aurait toute une étude à faire sur la nature de la perception chez Revel, sur sa sensibilité au laid, son insensibilité au lyrisme, et cette façon qu'il a de déceler immédiatement l'indigence de la pensée sous les parures du style.
Des grenades. C'est un personnage dangereux. Il lit les journaux et il les découpe. Il écoute la radio, il regarde la télévision, il constitue des dossiers, il a une mémoire de cheval, une bibliothèque de vingt mille livres dans la tête. Et il en use. L'éclat des formules ne sert jamais, chez lui, à dissimuler la pauvreté de l'information, ou l'imprécision du souvenir.
Alors, quand il frappe, il frappe dur.
Ce recueil d'articles n'a évidemment pas l'unité des essais qui l'ont précédé et qui ont fait la notoriété de l'auteur. « Pourquoi des philosophes ? », « Pour l'Italie », « Le Style du Général », « La Cabale des dévots » et l'étincelant « En France » se présentaient comme des fusées. Ici, ce sont plutôt des grenades qui explosent successivement. Elles n'en font pas moins de dégâts dans le vaste domaine de la bêtise, du conformisme et des idées reçues.
F. G.