Oriana Fallaci me fait porter son livre, «la Rage et l'Orgueil». Diva de la presse italienne, antifasciste de choc, présente sur tous les fronts, terreur des grands de ce monde qu'elle décapait dans des entretiens au vitriol, elle est aussi l'auteur de quelques ouvrages remarquables («Un homme»), vit aux Etats-Unis et a disparu depuis dix ans. Qu'a-t-elle donc de si pressant à dire aujourd'hui? Ce qu'il faut appeler par son nom : un torrent d'injures. Inspirée par l'attaque contre les tours de New York, elle crache pêle-mêle sur l'islam, les Arabes, qu'elle met tous dans le même sac, Ben Laden et le balayeur, qui lui répugnent «parce qu'il y a quelque chose dans les hommes arabes qui dégoûte les femmes de bon goût» , elle hurle sa révolte contre les hordes qui se soulagent à l'entrée d'une église romane, contre les Albanais, envahisseurs en canots pneumatiques qui inoculent aux Italiens la syphilis et le sida, elle éructe sur 200 pages. Et comme elle a un grand talent, digne de Céline quand il l'exerce contre les juifs dans «Bagatelles pour un massacre», Fallaci est positivement effrayante, elle touche chez le lecteur quelque chose de profond, d'inavoué qu'il se défendra toujours d'avoir pensé mais que ces pages lourdes de haine et de mépris risquent d'éclairer brutalement : la répugnance qu'inspire l'Autre à tout bon Occidental, Dieu me pardonne. Cette allergie n'est pas fatale heureusement. Mais Oriana Fallaci l'exprime avec la violence d'une femme qui voit se fissurer un certain ordre du monde et qui s'insurge dans son orgueil, dans sa chair. Il y a là-dedans une franchise ? «Vous n'avez plus de couilles» , nous lance-t-elle ? qui touche à l'odieux mais qui ne manque pas de superbe. Huit garçons de 14-15 ans violent une jeune fille de 15 ans à Lyon. Cette «tournante» n'a pas lieu dans une cité mais dans l'escalier d'un immeuble bourgeoisement occupé. Parce que la jeune fille a parlé, trois des garçons sont placés sous mandat de dépôt, et voilà que l'on paraît découvrir le rôle que jouent les films pornographiques dans ce qui devient aussi banal que le vol d'une voiture. Que les adultes fassent des festins de pornographie si cela les amuse, rien à redire. La prospérité de l'industrie atteste qu'il y a là demande, y compris de personnes très tranquilles, insoupçonnées, nullement perturbées par ce genre de spectacle mais agréablement stimulées. Autre chose est le cas de l'adolescent découvrant l'échange sexuel à travers l'industrie pornographique. Il y verra un total mépris de l'élément féminin, soumis, sodomisé, brutalisé, un rapport humain totalement dénué de tendresse, d'émotion, jamais un échange mais un exercice brutal de domination. L'éducation sexuelle, aujourd'hui, pour quantité de jeunes garçons, c'est ainsi qu'elle se fait. Au pays qui a inventé l'amour courtois, on fabrique de sales petites bêtes qui le resteront. On l'a déjà dit, cassettes, sites internet, films pornographiques devraient être soumis à un «contrôle de contenu» . Porno soit, mais pas n'importe lequel? Propos dérisoires, j'en conviens, alors que l'on présente au Festival de Cannes un film français tel que des spectateurs sortent pendant la projection pour vomir ? mais qui bénéficie de la couverture de «Paris Match» ?, après quinze minutes où l'on est présumé se pourlécher du viol d'une femme enceinte! Où allons-nous? se lamentent parfois les vieilles personnes. Avec cela, qu'aucun soupçon de talent n'excuse, nous sommes arrivés. Un document parfait, sur la forme, sur le fond, que l'on regarde tendu comme une corde à violon tant la fin est imprévisible? Brenton Butler, 15 ans, Noir, accusé d'avoir tué d'une balle dans la tête une touriste blanche en Floride, sera-t-il déclaré coupable ou innocent? L'histoire est celle d'une enquête bâclée, de policiers satisfaits de tenir un coupable convenant à leurs préjugés, d'un témoin peu fiable, de tout ce qui peut se passer, aux Etats-Unis comme ailleurs, quand la justice boite? Impossible de ne pas penser à Omar le jardinier. Car tout ici est authentique, les personnages, les lieux. Le réalisateur, Jean-Xavier de Lestrade, a eu la possibilité de suivre les protagonistes de l'affaire de bout en bout. Un avocat commis d'office, se battant pied à pied avec une grande science de son métier, finira par arracher l'acquittement de Brenton Butler. «Un coupable idéal» est un travail magistral. Un oscar l'a récompensé (France 2). F. G.
Jeudi, mai 30, 2002
Le Nouvel Observateur