Poussé dans ses retranchements par Michel Field, Léotard s'en étranglait. Ça change ? enfin ? de la connivence...
Le Field nouveau est arrivé. Enfin, dira-t-on... Il était temps qu'il trouve son style. Il avait déjà fait, la semaine dernière, en face de Michel Charasse, une démonstration de pugnacité à propos des écoutes de l'Elysée. Cette fois, c'est François Léotard qui a trinqué. Le pauvre, déjà tout meurtri par la calomnie... La méthode inaugurée par Field : poser une question embarrassante et la répéter, d'une voix forte, jusqu'à ce que l'interrogé perde ses nerfs. Cela devient très vite d'une violence inouïe. Insolite en France, où les journalistes ne poussent jamais quelqu'un dans ses retranchements. Charasse hurlait, François Léotard s'en étranglait : Field le poussait, le poussait, il se débattait, criait : «Je trouve ça nul ce que vous faites, nul! Vous me faites honte avec vos questions!» Il était à bout quand une pause publicitaire l'a sauvé. C'est sûrement fort éprouvant d'être ainsi harcelé mais, pour le spectateur français habitué à la connivence entre gens en place qui babillent gentiment, c'est une remarquable innovation. On saura très vite s'ils aiment. Alors «Public» pourra s'appeler «Scène de chasse sur la Une». Un titre mieux adapté. Et les patrons? Comment se sont-ils conduits sous Vichy? Puisque c'est jours de lessive ence moment, allons y mettre le nez, s'est ditLa Cinquième. Un document plutôt bien fait, deux historiens du sujet interrogés après coup par Jean-Luc Hees, et nous voilà ferrés surla question. Comment se sont-ils conduits? Comme toute l'élite du pays. Une poignée de héros, une poignée de salauds et les autres résignés s'employant à satisfaire l'occupant, leur client. La France versait à l'Allemagne une indemnité de 400 millions par jour. De quoi s'acheter tout le pays. En zone libre surtout, il y eut quelques réfractaires. Paul Ricard, l'homme du pastis, le patron de Manufrance, celui de Michelin. Mais la plupart ont tout bonnement collaboré à l'effort de guerre allemand sans état d'âme, comme émasculés par leur patriotisme d'entreprise. On a même fabriqué pour l'Allemagne des avions. Et bien sûr on a construit le mur de l'Atlantique pour empêcher le débarquement allié. Une aubaine pour les entrepreneurs de travaux publics. A la Libération, 13000 dossiers de collaboration économique sont venus devant les tribunaux. A l'exception de la nationalisation de Renault, les condamnations se sont limitées à des amendes. Reconstruction. Il fallait que «ça tourne» et que chacun soit à pied d'œuvre. L'émission donnait bien le climat de consentement frileux où s'est inscrite la collaboration des patrons. Celle qui n'a pas trempé ses mains dans le sang. Il est rabbin. Il s'appelle Marc-Alain Ouaknin, et il perce la peau des mots. Car derrière chaque mot il y a un alphabet, derrière chaque alphabet des images, l'alphabet des origines. C'est du moins ce que j'ai compris. Emporté par son sujet, à «Droit d'auteurs», il n'était pas très clair, mais Gérard Garouste, le peintre, qui l'a lu, a parlé d'un «livre fondamental», d'une introduction à la Bible. Bigre! En tout cas, en lisant «les Mystères de l'alphabet» on apprendra entre autres choses pourquoi o est rond et maman commence par un m . Plus classique, le «Dictionnaire du monde rural». Un trésor de quelques milliers de mots réunis par Marcel Lachiver. Un veau, une vêle. Une génisse, un génisson. Ce n'est pas joli, ça? Bernard Pivot se délectait à y fouiller. Puis on passa à un album imposant : «le Grand Livre de l'andouille». N'est-il pas admirable que quelqu'un dont le nom m'a échappé consacre des heures de travail et des pages de papier glacé à l'andouille? Ne pas confondre avec l'andouillette. L'andouille, c'est celle de : «Hé va donc, espèce d'andouille?», une injure qui n'est pas méchante, l'andouille c'est tout rond. Mais dira-t-on «espèce d'andouillette»? Evidemment non. On voit bien la différence. Un grand sommelier qui a écrit un livre lui aussi ? qui n'écrit pas de nos jours? ? fut consulté: avec quoi faut-il accompagner l'andouille? Un sancerre jeune et pointu. De là on passa à des choses étonnantes. Que boire sur du camembert? Du champagne. Parfaitement, du champagne. Et dans ce champagne notre sommelier met, le cas échéant, des glaçons! Le monde à l'envers. Ah! on s'instruit chez Pivot? F. G.
Jeudi, novembre 6, 1997
Le Nouvel Observateur