Violemment antiviolents

Jusqu'où peut-on aller pour préserver les enfants de la violence télévisuelle?
Elle est épatante, cette jeune Anglaise, Ellen MacArthur, fraîche comme une rose en bout de voyage, qui donne sa recette de navigatrice solitaire : elle s'est entraînée à se réveiller toutes les vingt minutes. On imagine ce que cela suppose de maîtrise d'elle-même. Les hommes font un peu benêts dans cette course. Cerné par un petit groupe d'écrivains à la plume pointue réunis par Franz-Olivier Giesbert (France 3), le ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon fut prudent comme un Sioux ?cuménique. Avec la violence à la télévision au menu partout, il marche sur un tapis de grenades, vu que tout le monde a une opinion sur la question mais pas forcément la même, et que des intérêts considérables sont en jeu. Attendons de voir. Donc on bavarda et des petites phrases jaillirent, éclairantes. A propos de la violence, Joseph Macé-Scaron dit : «C'est le problème de 68. On a tué l'autorité et on a ouvert le champ à la violence.» M. Macé-Scaron est un journaliste de talent qui ne se cache pas derrière son petit doigt. Mais il y avait en face de lui un soixante-huitard, un vrai, Philippe Caubère, la bête de théâtre que l'on court voir en ce moment à Paris, à supposer qu'on trouve une place. Auteur-acteur, il monologue, seul en scène pendant trois heures, raconte sa vie, mime ses rencontres avec dix, vingt personnes, on rit beaucoup, on applaudit, c'est époustouflant. Comme il est impossible de lui couper la parole, personne ne s'en avisa chez FOG, avant qu'il ne s'éclipse. Entre Edwy Plenel et Christian Combaz, ce fut rugueux. Pierre Bénichou tonna : c'est à la famille d'éduquer les enfants contre la télévision? Mais vous avez vu dans quel état elle est, la famille? Philippe Caubère avait disparu du plateau sur la pointe des pieds, Blandine Kriegel, en revanche, conseillère auprès du président de la République, sort d'«Arrêt sur images» (France 5) comme Jupiter sur un nuage de colère, laissant Daniel Schneidermann interloqué. Ce n'est pas tous les jours qu'on voit ça. Que s'est-il donc passé? Blandine Kriegel, qui a beaucoup de diplômes, n'a manifestement pas la pratique de la télévision, où l'agression est toujours fatale à l'agresseur. De sorte que, offensée par le résumé qu'une journaliste donnait de son fameux rapport, elle l'a tancée d'un : «Ce que vous dites est indigne, votre présentation est honteuse.» Vocabulaire blessant et totalement inapproprié. Dans le tohu-bohu qui suit, elle menace : «Si vous ne me laissez pas parler, je m'en vais.» Schneidermann essaie de l'apaiser, Blandine Kriegel ramasse ses papiers et quitte le studio. Jean-Jacques Beineix a eu le temps de grommeler : «C'est Tintin au pays des soviets.» Pas aimable, mais il y a de ça. Pendant que les routiers font la nique au Premier ministre, la culture continue. Cette fois chez Thierry Ardisson, qui poursuit sa double vie sur Paris-Première et sur France 2. Pierre Nahon, le marchand de tableaux, fut mis à la question, courtoisement, à propos de son livre : «l'Art content de rien». Il parle bien de ce métier qu'il fait depuis trente ans, des artistes qu'il a tous connus, parfois couvés, mais conclut que la peinture manque de géants en ce moment. «L'art moderne, écrit-il, évacuant les habiletés acquises, ne les a remplacées par aucun savoir-faire.» Ce qui lui manque pour rayonner comme l'art le fit à travers les siècles, ce serait en somme le souffle mystérieux de la création. Pierre Nahon ne prétend pas augurer de l'avenir. Cette panne, c'est peut-être une grimace de l'histoire. En attendant, il n'y a jamais eu autant d'acheteurs dans les grandes ventes de tableaux. Et les prix ne faiblissent pas. Histoire a entamé la diffusion d'une série de témoignages dont Jean-Marcel Bouguereau a dit, dans «TéléCinéObs»: «A voir absolument». Docile, j'ai regardé le premier de ces témoignages, celui d'un charmant monsieur de 91 ans parlant alternativement russe et français pour raconter sa vie, soit vingt-sept ans de camp et de prison : le goulag, cette annexe de l'enfer. Oleg Volkov, bourgeois lettré de Moscou, suspect d'opposition au régime, a tout enduré, mais quand on lui demande : «Comment avez-vous supporté cette épreuve interminable?», il a cette réponse qui mérite d'être méditée : «Ce qui m'a permis de survivre, c'est mon éducation. Ne jamais s'attendrir sur soi ... Etre à la hauteur. Supporter en silence avec le plus de dignité possible les événements et les épreuves.» Cela ne vaut pas seulement pour survivre au goulag. Il était impressionnant, ce vieux monsieur rescapé de la plus grande secousse sismique du siècle, encore capable de vous parler avec passion de Dostoïevski. F. G.

Jeudi, novembre 28, 2002
Le Nouvel Observateur