Ce n'est pas déplaisant de voir de nouvelles têtes, mais ne nous emballons pas...
Ce n'est pas un concours de beauté. Aussi ne s'agit-il pas de noter sur la mine le premier gouvernement de droite formé grâce à l'aimable collaboration de 10 millions d'électeurs de gauche. Une étrangeté qui n'aura échappé à personne. L'adéquation de Nicolas Sarkozy, martial, au ministère de la Sécurité est parfaite : il a déjà terrorisé les malfaiteurs. La preuve : on n'a plus entendu parler à la télévision d'un quelconque fait divers saignant depuis le 21 avril. En Corse, par contre, tout recommence et on le sait. Aucun ministre de l'Intérieur ne s'est dépêtré de la Corse, jamais? «On a bien de la peine à rompre quand on ne s'aime plus», dit le moraliste. A part Sarkozy, vieille connaissance, ce n'est pas déplaisant de voir de nouvelles têtes, dont 22 puceaux? Mais ne nous emballons pas : à peine entrés, tous peuvent sortir dans un mois. Des millions d'électeurs ont déboulé de leur torpeur querelleuse. Si c'est pour y retourner une fois le grain passé, la Chiraquie, parti unique et godillots où il ne manque que Tiberi pour évoquer le bon vieux temps, prendra racine? S'ils ont envie, au contraire, de continuer à faire de la politique pour continuer à impulser de salutaires chambardements, il peut se passer des bricoles à la faveur de ces élections. Pour l'heure, on ne les sent pas encore. Une seule chose est sûre : qu'il parte dans un mois ou dans trois ans, M. Raffarin n'emportera pas les fonds secrets de Matignon. Il les rendra au Trésor public. Comme Lionel Jospin? Deux émissions riches, comme on en trouve assez souvent, pour finir, à condition de ne pas se tromper de chaîne, m'ont retenue. D'abord, un documentaire d'Alain Jaubert sur Nietzsche. On se méfiait. On avait tort. Bonnes photos, bon mouvement, bons intervenants allemands et français (Jean-Pierre Faye, Georges Liebert), germanistes et nietzschéens de choc, un éditeur passionnant, un récitant maniéré mais c'était le seul, le tout de bonne pédagogie sur un sujet éternellement actuel (Arte). Deuxième émission : «le Procès Kravchenko» raconté avec brio par Georges Kiejman sur France 5. En 1944, un fonctionnaire soviétique en poste à Washington, Victor Kravchenko, déserte et écrit un livre, «J'ai choisi la liberté», où il dénonce en particulier les camps de concentration dans son pays. Cinq millions d'exemplaires sont vendus. En France, le livre paraît en 1948. Ce n'est pas le récit d'un procès à la soviétique. Le plaignant, diffamé, c'est K. lui-même, le tribunal est à Paris. Les accusés : un journal communiste, celui de Louis Aragon, «les Lettres françaises», qui manie la calomnie, les documents falsifiés, les faux témoins accablants, de rares rescapés de la grande famine d'Ukraine? Georges Izard, le valeureux défenseur de K., finit par l'emporter : le tribunal condamne «les Lettres françaises». Ingénieur, K. a fait fortune aux Etats-Unis avec une invention, puis il s'est ruiné. Il n'a jamais pu revoir son fils. Il a fini par se tirer une balle dans la tête. Le procès Kravchenko n'est qu'un moment dans l'histoire du communisme en France, mais il montre jusqu'à la caricature combien la vérité est chétive quand elle doit combattre la passion et le dogme. Autre chose : en votant largement Le Pen, la classe ouvrière a fait une entrée surprise sur la scène politique et, par voie de conséquence, sur le petit écran. C'est d'abord, sur France 2, le reportage de Marcel Trillat sur une usine de textile délocalisée, licenciements, plan social, occupation de l'usine, etc. L'intention est respectable, le résultat consciencieux. «Arrêt sur images» a essayé de comprendre pourquoi les chaînes sont si pudiques, pourquoi «le social» y est généralement traité à la va-vite. Parce que la rédaction en chef considère que «ça ennuie tout le monde»? Ce n'est pas faux. Edwy Plenel a réuni sur LCI deux grosses têtes : Daniel Cohen et Stéphane Baux, pour décrire les transformations qui ont bouleversé la vie ouvrière (les femmes sont plutôt employées) avec la désindustrialisation. Ce n'est plus Zola, c'est autre chose, avec la quasi-disparition des usines, le repli obligé sur des métiers improbables, laveur de vitres, livreur, gardien de nuit, qui n'ont plus leur fierté, la modification de l'habitat? C'est une blessure dans le corps social qu'il serait fou d'oublier. Enfin, Lorient a battu Bastia contre tous pronostics. C'était la bonne façon, de la part des Bretons, de répondre à la muflerie des Corses sifflant «la Marseillaise». Le mot de la fin revient à Dominique Voynet : «Chirac a surjoué mais il a bien joué.» F. G.
Jeudi, mai 16, 2002
Le Nouvel Observateur