Déjà que la vie n'est pas une partie de plaisir, s'il faut maintenant se nourrir d'huile et d'escargots pour la prolonger...
Ils sont calmes. Propres sur eux. Ils s'expriment bien. Les filles sont les plus nombreuses, précises, concrètes, sans agressivité inutile. La jeunesse, c'est cela aussi. C'est cela surtout, même si elle a son triste double dans les casseurs. Comment a-t-on pu la mener à ce degré de révolte contre ses conditions de vie dans les lycées? Par quelle succession de blocages, de lâchetés, de gouvernements timorés, de syndicats crispés, d'archaïsmes accumulés a-t-on fabriqué ce monstre mou nommé Education nationale qui dévore ses enfants? L'école, c'est l'échec de la Ve République tout entière, toutes responsabilités politiques cofondues, depuis quarante ans. Fausses réformes, pas de clercs, rustines sur les vieux pneus, en aura-t-on vu et entendu? Pourtant, tout a toujours été prévisible dans ce domaine, les variations de la population scolaire, le nombre de locaux et d'enseignants nécessaire, la sclérose de l'appareil qui montait, paralysant chaque timide initiative? M. Allègre est un homme déterminé, il l'a encore montré à «Public» devant une assistance tendue et néanmoins disciplinée. Mais peut-on soulever un éléphant à demi asphyxié? Que les mânes de Jules Ferry le protègent! Il se passe quelque chose de troublant avec le vocabulaire moderne. «L'Obs» parlait l'autre semaine de ces nouveaux langages pittoresques, parfois impénétrables. Ils vont, ils viennent, ils servent de codes à la jeunesse, ce n'est pas grave. Là où cela devient plus ennuyeux, c'est lorsqu'il s'agit de vocabulaire technique. Ainsi l'émission régulière de LCI sur les multimédias. Le sujet m'intéresse, je la suis. Enfin j'essaie. Mais entre les sigles, les termes nouveaux désignant des objets nouveaux, elle devient de plus en plus impénétrable. L'autre jour, Jean-Marie Messier, patron de Vivendi, qui a pourtant l'esprit clair et une bonne élocution, a tenu un discours sur l'avenir du numérique qui m'est resté littéralement insaisissable. Cela ressemblait à un film doublé en coréen. Ses interlocuteurs avaient l'air de le comprendre. C'est ce qui m'a donné un coup. Entre eux, les nouveaux détenteurs de ce langage de plus en plus répandu jusque dans la publicité communiquent apparemment? Mais c'est comme une part du monde qui vous échappe, dont on se sent étranger. Et c'est? troublant. Bientôt ce sera le contraire. Ce sera les enfants qui ne comprendront plus Racine. Si ce n'est déjà fait. L'obésité est un serpent de mer de la télé-vision. Régulièrement, elle passe son nez dans l'un ou l'autre des magazines d'information («Des racines et des ailes»). Pourquoi pas? Les obèses sont malheureux. Il y en a 10% en France, dont beaucoup d'enfants; bien davantage aux Etats-Unis. Ici, certains centres spécialisés les traitent en rééduquant leurs habitudes alimentaires. L'intéressant était le coup d'?il jeté sur les Crétois. Ces heureux îliens ignorent la graisse superflue. Mieux : ils sont dispensés de maladies des coronaires et, pour un oui pour un non, vivent jusqu'à 98 ans sans cancer. Mais qu'est-ce qu'ils ont; ces Crétois? Ils ne mangent que de l'huile d'olive vierge, des légumes non traités chimiquement, très peu de viande, blanche? et des escargots. Déjà que la vie n'est pas une partie de plaisir, s'il faut maintenant se nourrir d'huile et d'escargots pour la prolonger! Un documentaire de France 2 sur la longévité sans cesse accrue et ceux qui en font le but de leurs travaux scientifiques était hallucinant. Si l'on a bien compris, c'est d'abord affaire de nutrition. La vieillesse se soigne avant de tuer et alors elle cesse d'être calamité. Déjà de riches émirs s'attachent les services de médecins qui les guident sur cette voie enchantée : comprendre ce que l'on fait quand on mange. L'un de ces médecins déclarait avec assurance : «La mort est la frontière qui sera dépassée un jour?» Des Français ont même réussi à rendre immortel un organisme vivant, un champignon, le podospora. Grande première. Tout cela nous promet quelques prix Nobel dans l'avenir. Quand on aura mis tous les vieillards en conserve. Dans l'huile d'olive. F. G.
Jeudi, octobre 22, 1998
Le Nouvel Observateur