US, go!

Quand on voit les réfugiés qui meurent et les Serbes qui chantent, on se sent devenir méchant, très méchant
Sobre, froid, Hubert Védrine a répondu sur TF1 aux questions qui se bousculent dans les esprits : action terrestre? No comment . Risque d'embrasement? Non. Action russe? Non plus. Sur les opérations, les chaînes diffusent des informations prudentes, truffées de conditionnels. On ne leur en fera pas grief. Elles travaillent bien avec ce dont elles disposent. «Arrêt sur images» a cherché en vain à les prendre en défaut. Plus troublantes sont les images de Paris. Ces petits groupes qui brûlent le drapeau américain en criant «Arrêtez les bombardements!» mais jamais «Arrêtez les déportations!», c'est le bon vieux «US go home» à la sauce Bourdieu. On entend aussi des choses étonnantes. Un homme aussi respectable que Pierre Vidal-Naquet déclare, sur LCI, que «la guerre est une action de l'Amérique contre l'Europe, un coup volontairement porté à l'organisation de l'Europe». Son interlocuteur, Pierre Hassner, en est resté interloqué. L'amour de l'Amérique n'étouffe certes pas les Français. Au premier degré, Astérix n'en a rien à foutre, des Ricains. Au second degré, on trouve quelques intellectuels qui ont fait parfois un long chemin pour passer de la gauche au nationalisme. Ils ne sont pas nombreux, mais comme ils savent parler, ce sont eux que l'on met en vitrine. Attachés à la grandeur de la France, ils ne se résignent pas à la voir dominée militairement, colonisée culturellement, rétrécie à ses dimensions réelles par la puissance américaine. Un étrange accouplement les unit à Charles Pasqua. D'autres sont partagés à l'égard des Etats-Unis entre un vieux ressentiment (qui aime son sauveur?) et la fascination, la hargne du petit en face du grand. Et voilà que maintenant ces manchots nous font une guerre qu'ils ne savent même pas gagner et qu'on devrait se faire tuer pour défendre des intérêts américains. Allez leur rétorquer qu'il n'y a aucun intérêt américain en cause au Kosovo, ils n'en croient pas un mot tant ces intérêts se sont souvent imposés ailleurs avec arrogance et brutalité. Soit. On ne demande à personne d'aimer les Américains, ni l'Otan, ni la guerre. Ceux qui approuvent aujourd'hui notre intervention et qui sont les plus nombreux n'aiment ni les uns ni les autres. Ils regardent simplement la télévision, où grossissent les cohortes déchirantes de réfugiés, chassés de chez eux à coups de crosse, si nombreux que beaucoup vont mourir de froid et de faim tandis qu'à Belgrade les Serbes chantent et dansent dans la rue. On ne peut pas en vouloir à tout un peuple de son mauvais berger. Mais quand on voit ces deux spectacles se succéder, on se sent devenir très méchant.US go! Après cela, un peu de romantisme ne faisait pas de mal. «Love Story», documentaire britannique diffusé par Arte, est l'étrange histoire vraie vécue pendant la guerre de 40, à Berlin, par une jeune femme allemande modèle, blonde, mari mobilisé, quatre enfants, portrait d'Hitler dans son salon, et une jeune femme juive au visage volontaire, qui se cache, pour survivre, sous un faux nom et milite clandestinement dans un petit groupe de résistants. Ce qui va les rapprocher ne porte qu'un nom : l'amour. L'amour fou, éperdu, tendre, comme les filles de Lesbos savent parfois en connaître. Dans la ville, non encore touchée par la guerre, elles le vivent joyeusement. Et puis Felice est dénoncée, arrêtée, déportée. Lilly ne la reverra jamais. Aujourd'hui, c'est une vieille dame qui évoque le passé avec une émotion intacte. «Je n'oublierai jamais? J'ai été heureuse, je lui suis reconnaissante.» C'était beau. «Tout le monde en parle» est une émission populaire bien que tardive, animée par Thierry Ardisson et Laurent Ruquier, parfois amusante. Ce qu'on appelle un «talk-show», où toutes sortes de gens sous les feux de l'actualité viennent faire leur numéro. La dernière éclaira de ses projecteurs un homme au physique suédois et à l'accent italien, héros d'un film pornographique sortant ces jours-ci, réalisé par une femme, Catherine Breillat, qui n'a pas froid aux yeux. Son interprète principal offre la curieuse particularité d'être en état d'érection du matin au soir, ce qui est bien commode quand il faut faire plusieurs prises. Nicht Viagra! C'est un effet de nature. Depardieu, Clint Eastwood, DiCaprio, out! On conviendra qu'on voit de drôles de choses à la télévision quelquefois? F. G.

Jeudi, avril 8, 1999
Le Nouvel Observateur