Une voix de femme, jamais!

Son enquête sur la faiblesse de la représentation féminine, Michèle Cotta l'a menée avec brio. Et pour cause!
En politique, il est rare que quelque chose «tombe sous le sens». Il y a toujours motif pour se livrer à maïeutique. Cette affaire d'inversion de dates pour les élections faisait exception. Il tombe sous le sens que le président de la République doit être élu avant le Parlement. Lionel Jospin l'a dit en termes excellents. Aussi le spectacle qu'a offert l'Assemblée et qu'a transmis la précieuse chaîne parlementaire a-t-il eu quelque chose de vertigineux. Les opposants, de droite et de gauche mêlés, disaient n'importe quoi, littéralement n'importe quoi, les citer serait trop d'honneur, personne n'écoutait personne, Giscard s'époumonait dans le brouhaha, Raymond Barre devant un Hémicycle vide, Debré bêlait. Le monde politique n'est pas composé comme on le dit parfois de gredins et d'incapables, loin de là. On y trouve même à un haut point l'attachement au bien public. Mais quand ils sont entre eux, une sorte de vulgarité d'esprit, de médiocrité communicative peut les submerger. Maintenant que cette chaîne existe, ils devraient se regarder. L'exercice pourrait être salutaire. Personne n'était mieux qualifié que Michèle Cotta pour rapporter avec brio l'enquête du Conseil économique sur la faiblesse de la représentation féminine dans les grands postes privés et publics. Elle-même est un numéro un, et pas d'hier, mais elle a connu toutes les épines auxquelles s'écorchent les femmes qui «montent»: la condescendance, la dérision de ses ambitions, la négation subtile de ses capacités. Je me souviens du temps où elle espérait débuter à la radio et où le directeur d'Europe 1 avait décrété:« Une voix de femme, jamais ! Les auditeurs ne croient pas ce qu'elles disent ! » Quelques menues remarques sur son rapport : deux secteurs majeurs, la médecine et la magistrature sont colonisés par les femmes. Ce n'est pas rien même si la plus haute marche n'y est pas encore d'accès facile. Les vrais freins sont dans l'entreprise et dans la fonction publique. Poids des préjugés, des mentalités, d'une culture, bien sûr. On change ça comment? On ne le change pas. Ça change. Ça change avec le remplacement des générations. C'est ce qui nous a permis d'avancer depuis trente ans, avec l'arrivée aux commandes d'hommes jeunes, élevés autrement, face à des femmes différentes. Capitale, d'autre part, la force de l'exemple que donnent les nominations et les quelques échappées spectaculaires ouvertes dans l'industrie par deux ou trois grands patrons. L'élément le plus important dans le dispositif de François Pinault est une femme. Cela doit devenir «chic» d'avoir une femme chef d'état-major. On n'en est pas là dans les PME. Et il ne saurait être question de contraindre personne, seulement d'ouvrir les yeux. Mais toutes les femmes ne peuvent ni ne veulent viser les grandes responsabilités, ce qui suppose à la fois des capacités et une façon de vivre particulière. Ce qu'il faut obtenir, c'est le droit d'y prétendre et la faculté pour toute femme d'associer cet objectif à des conditions de vie personnelle non mutilantes. Horaires, transports, modes de garde, c'est un grand chantier. Mais qu'on ne me raconte pas que l'accès d'une femme à un poste élevé dépend de la bonne volonté mise par son mari à passer l'aspirateur. Qu'elle change de mari, que diable! Une heure d'enchantement avec Jean-Pierre Vernant, celui qui écrit sur la Grèce antique ces livres de rêve. Ici, il parlait. De lui. Racontait la vie d'un enseignant saisi à 20 ans par la guerre, adhérent au PC par antinazisme, combattant physiquement dans la Résistance, compagnon de la Libération, puis traversant les convulsions du pays et de la gauche ? Algérie, 1958, 68, Mitterrand, le mur de Berlin. Ce qui est beau, c'est la façon dont il raconte, dans une langue parfaite, de telle sorte qu'«on y est», on s'emporte, on vibre, on vit avec lui. C'est une cassette qu'il faudrait offrir à tous les jeunes gens un peu curieux de savoir ce qu'il y avait sous la peau des grands mots, entre 1940 et 1989, dans le cœur des aînés quand il battait à gauche (La Cinquième). F. G.

Jeudi, décembre 28, 2000
Le Nouvel Observateur