Même Ionesco l'angoissé, Ionesco l'invivable avait trouvé celle qui ne le quitterait jamais...
En 1900, il y avait en France 200 constructeurs d'automobiles. En l'an 2000, il en reste deux. Il faudra moins longtemps pour qu'un taux de mortalité semblable élimine la forêt d'entreprises en tous genres qui se greffent sur le filon d'or, ou présumé tel, de la communication. Du point de vue de l'utilisateur, on est déjà écrasé par l'excès de l'offre. Les portails, comme ils disent, c'est par douzaines? Quand on dispose du câble, et de Canal+, il est rare qu'on en use tous les jours. Or bientôt six nouvelles chaînes hertziennes, accessibles sans câble ni décodeur, gratuites, vont surgir sous l'égide des chaînes actuelles. Qu'est-ce qu'il y aura dans les tuyaux? On parle d'une chaîne consacrée à l'information, d'une autre consacrée aux sports. Où diable les gens prendront-ils le temps de regarder tout cela plus internet, parce que la pression de la mode est irrésistible? Ils ne regarderont pas vraiment? Ils picoreront ici et là? Ça ne peut pas marcher comme ça! Car tout le système, télévision et internet confondus, n'a qu'une source de financement, c'est la publicité. (Dans certains cas le commerce, pour internet, mais son fleuron, Amazon, est en train de trébucher.) Or les publicitaires s'accommodent mal de consommateurs éparpillés. Bref, tout cela, compliqué, nouveau, n'est pas encore maîtrisé et de nature à rendre nerveux les actionnaires de Vivendi qui croyaient avoir de l'eau, valeur sûre, dans leur portefeuille et se retrouvent avec du cinéma, activité de saltimbanques. Ça donne un choc, forcément. Catherine Tasca, ministre de la Culture, est tout à fait à sa place dans ce beau fauteuil, et on est heureux de l'y voir calme et tranquille. («Bouillon de culture».) Il n'y a pas de ministère facile. Ce qu'a celui-ci de particulier, c'est que les interlocuteurs du ou de la ministre sont les gens les plus narcissiques, les plus fragiles, les plus sensibles qui soient, ceux que l'on appelle collectivement les artistes, toutes disciplines mêlées? Avec eux, il n'y a qu'une façon de faire : les aimer. Catherine Tasca les fréquente depuis longtemps. Elle nourrit un faible évident pour les gens de théâtre, dont elle connaît mieux les problèmes que ceux, plus techniques, moins romantiques, des gens de cinéma. Mais elle aime et connaît aussi les peintres, les danseurs, les poètes, les musiciens. Et c'est une bosseuse. Avec un mauvais caractère, reconnaît-elle, c'est-à-dire une certaine difficulté à écouter les arguments de l'adversaire. Quand elle est sûre d'elle, ce qui est fréquent, elle est raide. Néanmoins, elle devrait réussir. Eugène Ionesco. Personne n'a été plus moqué, nié, ridiculisé par la critique que l'auteur de «la Cantatrice chauve» et du «Rhinocéros». Seul Beckett a été encore plus bas. C'était en même temps. Ionesco finit sous les honneurs académiques, adulé, joué, traduit dans le monde entier. Samuel Beckett, ce fut encore plus grave : il reçut le Nobel. «Un siècle d'écrivains» nous a montré Ionesco obsédé dès l'enfance par la mort. Affirmant : «Nous pourrions tout supporter si nous étions immortels? Je veux guérir de la mort?» Il est invivable. Sa femme observe, tranquillement : «Il n'a pas la vocation du bonheur?» Et il murmure : «Je ne sais pas ce que je deviendrais si tu n'étais pas là.» Mais elle sera toujours là. Il y a une femme pour tous les hommes, même pour les grands angoissés. S'abritant derrière Michel Foucault, Edwy Plenel a donné la tribune du «Monde des idées» à la présidente d'Act-Up et au précédent président de la turbulente association, en pointe parmi les gays. Ils ont parlé avec la foi des gens en croisade. Celle dont «l'Obs» se faisait l'écho la semaine dernière : les couples homosexuels veulent des enfants. Le plus ancien désir du monde resurgit là où on ne l'attendait pas. On peut penser qu'il finira par balayer tous les obstacles qu'on lui oppose. Agonie d'une société? Ou naissance d'un nouveau monde où il faudra peut-être militer pour garder le droit d'être discrètement hétérosexuel? La question reste ouverte. Du beau football parfois deux fois par jour, c'est Capoue! Comme on aura été heureux de voir ça, quel que soit le verdict final! Surprenant, la suprématie allemande, la suprématie anglaise mises en échec par des équipes présumées secondaires. Au football comme ailleurs, être premier c'est bien. Le dur, c'est de le rester. F. G.
Jeudi, juin 29, 2000
Le Nouvel Observateur