Quand Edmonde Charles-Roux raconte sa vie avec ? et avant ? Gaston Defferre?
Ces deux heures avec Edmonde Charles-Roux chez Pivot ont été pur plaisir. Elle publie chez Grasset un album sur celui qui fut son mari, Gaston Defferre, bel album, beau texte. Cette grande bourgeoise atypique, fille d'ambassadeur, élevée à Prague puis à Rome, où son père était en poste, cosmopolite de naissance, le cœur à gauche, le chignon immuable, a toujours navigué en marge de son monde d'origine dont une partie au moins l'a reniée. «Quand je suis devenue journaliste, on ne m'a plus invitée aux communions. Cela m'a fait de la peine. J'aime ma famille.» Avant cela, on commença à l'appeler «la femme soldat» parce qu'elle avait fait la guerre comme secrétaire du général de Lattre. Deux blessures, croix de guerre, Légion d'honneur n'ont pas suffi à effacer le sobriquet de la «provocatrice». Mais elle jure qu'elle n'est pas provocante. Elle est «comme ça», voilà, et le dit de sa voix profonde avec un si joli sourire épargné par les années qu'on risque de la croire. Pivot, remontant tout le fil de sa vie, y a rencontré, avant d'arriver à Defferre, André Derain, le peintre, et Paul Morand, dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils sont sortis de l'Occupation les mains sales. Le père d'Edmonde s'est d'ailleurs brouillé avec Morand parce que celui-ci dénonçait les diplomates gaullistes. «C'est un traître», dit-elle tranquillement. Mais une âme n'est jamais perdue, on fréquente bien des bandits? C'est son côté bonne sœur. Et Aragon, son ami Aragon, comment a-t-elle supporté ce stalinien? «Stalinien? C'était avant moi, dit-elle. Après, je barrais la porte, chez lui, aux émissaires de l'ambassade.» Elle rejette l'évocation du soviétisme parce que la Russie, pour elle, c'est la terre éternelle de Tolstoï, Tourgueniev, Gorki? Staline, c'est un accident. Un chapelet d'anecdotes piquantes sur sa rencontre avec Defferre et ce qui s'ensuivit, une révélation sur ce que contenait le coffre du leader socialiste, ouvert après sa mort : trois lettres de De Gaulle et quelques exemplaires de «la Révolution surréaliste!» Hé oui! Le sûr est qu'il y a eu entre Elle et Lui beaucoup d'amour et d'admiration réciproques, et probablement d'accrochages vifs car ils avaient tous les deux un foutu caractère. Lui, protestant, deux fois divorcé, elle, catholique, croyante, elle a obtenu de lui qu'ils se marient à l'église. Elle est «comme ça», Edmonde Charles-Roux. Elle sourit, exquise, et ne cède sur rien. «Envoyé spécial», fleuron des magazines d'information pendant dix ans, ne s'est pas vraiment remis d'avoir changé de mains. Les deux jeunes femmes qui la patronnent maintenant sont irréprochables; simplement, les sujets qu'elles proposent sont souvent ennuyeux, sans brio, alors on décroche. Un sur trois méritait cette fois d'être regardé: les gosses qui sèchent la classe. Ces petits déserteurs sont assez nombreux pour que l'Education nationale s'en préoccupe fort. Quand les adolescents en arrivent à se mettre hors scolarité parce qu'ils ont accumulé trop d'absences, leur situation devient grave. D'abord, ils galèrent. Puis, souvent, ils demandent à réintégrer l'école. C'est pour ces volontaires qu'ont été créés les Clept (collèges et lycées élitaires pour tous). Pour leur donner une nouvelle chance, ce dont ils ont le sentiment très vif, et ils travaillent parce qu'ici on vient à l'école non plus par obligation mais par désir. Dans les établissements scolaires, le personnel se met en quatre chaque fois qu'un élève manque à l'appel. C'est devenu vraiment un apostolat de s'occuper de ces sacrés mômes? Le boycott des produits Danone n'a pas eu les effets escomptés. Le consumérisme, ce moyen de pression sur les actionnaires par les consommateurs, est entré dans les mœurs aux Etats-Unis parce qu'il est moralisateur et puritain. Adapté, donc, à la population en France, il n'a pas de racines, on préfère casser les McDo. Un peuple puritain et moralisateur, ça ne s'improvise pas. Il y faut des générations de prêche au temple. F. G.
Jeudi, avril 26, 2001
Le Nouvel Observateur