Un Zidane nous manque...

Chapeau : ?et tout est dépeuplé. Quelle humiliation pour les Français d'être apparus en cousins pauvres du football!
Le Premier ministre commence à être rasant, à répéter toujours la même chose avec le même air pénétré. Comme les télévisions le suivent pieusement, on se lasse. Déjà que cette campagne électorale n'est pas précisément exaltante? Il y a le petit postier Besancenot qui est poétique. Avec sa révolution plein la bouche, on croirait voir des pâquerettes lui pousser entre les doigts de pieds. Jusqu'à 20 ans, on a le droit de voter pour lui. Laurent Fabius a été brillant et drôle devant les socialistes, mais il est bien le seul. Le numéro de Raffarin, est-ce que ça marche? On dirait. Les Français l'ont à la bonne, bien que ses résultats se fassent attendre. Même les routiers furent moins coriaces en leur temps que les médecins qui devaient, croyait-il, se précipiter dans les bras de Chirac en disant : «Enfin, cher Jacques Chirac, nous vous attendions?» Mais tout le monde aura vu comment on fait céder l'Etat devant des intérêts particuliers parfaitement légitimes au demeurant. La grève chez les cols blancs, c'est intenable. Le coût en sera considérable. Qui paiera? Vous et moi par le biais d'une augmentation des cotisations sociales. Cela ne paraît pas en soi scandaleux, mais nous a-t-on jamais consultés à ce sujet? N'était-il pas fortement question au contraire de diminuer les impôts? Ce n'est pas la même caisse, dira-t-on, c'est vrai. Mais les citoyens, eux, n'ayant qu'une caisse, ces distinctions sont bien subtiles. Enfin, tout cela n'est pas encore ficelé emballé. M. Raffarin doit avoir trois mois devant lui avant que son ciel ne se couvre. A condition que son parti gagne les élections demain, bien sûr. Deux ou trois ministres sympathiques, Jean-Jacques Aillagon, Luc Ferry, Roselyne Bachelot, le crédit que l'on accorde à Nicolas Sarkozy et, surtout, une certaine répugnance à l'égard d'une éventuelle cohabitation jouent pour lui. Un qui est toujours égal à lui-même, c'est Alain Juppé. Un cas. Personne n'est plus intelligent, plus brillant et, quand on le connaît un peu, plus charmant. Il se donne un mal fou pour polir une physionomie qui s'est montrée excessivement rugueuse, il désire fortement être un jour chef de l'Etat et il est bon que des hommes capables aient cette ambition. Jacques Chirac doit le mettre sur orbite après les élections. Et que fait-il? En quelques mots, répercutés partout, il gâche des mois de retenue en lançant à un journaliste : «Je ne réponds qu'aux questions qui me plaisent» et en reprochant à un autre d'avoir sa carte du PS. Incorrigible. Nicole Notat, en revanche, présente partout, a fait une sortie en forme d'apothéose. Que cette femme est donc intelligente dans ce monde d'hommes, le syndicalisme, qui sont plutôt du genre buté. On se souvient de Marc Blondel lui lançant : «Moi, je ne couche pas avec les Premiers ministres.» Il y a trente ans qu'on ne parle plus sur ce ton à une femme. Il ne savait pas que ces rapports-là aussi ont changé et pas seulement les rapports sociaux. Elle-même, on l'a vue se transformer au fil des années. Elle était raide au début, d'apparence austère, se méfiant de tout et de tous ? et comme elle avait raison! Et puis l'aisance lui est venue, et l'idée qu'elle ne trahirait pas le prolétariat en fréquentant un bon coiffeur. Elle quitte la CFDT sans raison apparente, elle n'a pas 55 ans, elle a la passion du bien public, une expérience des rapports humains extraordinaires, on l'imagine mal regardant pousser l'herbe dans une quelconque retraite. Arte a célébré ses dix ans par un montage audacieux et brillant de ses meilleurs moments. Depuis les débuts chaotiques de la petite chaîne franco-allemande moquée, vilipendée, dédaignée par les spécialistes, il s'est passé beaucoup de choses. Aujourd'hui, Arte, libre de toute publicité, fait le plaisir de son public. Bien commentée avec une pointe d'autodérision, pleine de clins d'?il, une cavalcade d'images savoureuses ont proclamé: «Voilà tout ce que vous avez manqué si vous n'avez pas regardé Arte.» Cette débauche d'énergie dépensée par les Suédois et les Anglais sur le beau terrain de Saitama (Japon) si bien roulé, c'était superbe. Mais quelle humiliation pour les Français d'être apparus en ouverture de Coupe comme les cousins pauvres. Un Zidane nous manque et tout est dépeuplé. Pirès, absent pour blessure lui aussi, aurait peut-être conjuré la désorganisation visible de l'équipe. Comme l'a montré un documentaire anglais diffusé par la chaîne Histoire, le football ne nous a pas attendus pour enivrer les foules et fabriquer des dieux : Pelé, Cruyff, Beckenbauer, Platini, Maradona, accompagnés par tous les excès dans l'idôlatrie, ce n'est pas nouveau. Puis sont venues les injections de plus en plus fabuleuses d'argent via la télévision. C'est le grand tournant, celui qui, en mondialisant le spectacle du football, lui a donné une dimension quasiment monstrueuse. Envahissante, en tout cas? Les fanatiques de l'antimondialisation restent cependant bouche clouée. C'est que, dans ces effarants jeux du cirque, les Etats-Unis n'ont aucune part. On ne peut pas dire cela de grand-chose aujourd'hui... F. G.

Jeudi, juin 6, 2002
Le Nouvel Observateur