Le retour d'un prisonnier de guerre : imagine ce qu'a vécu l'épouse laissée seule, sur son rôle protecteur auprès de son mari, de retour d'Allemagne. S'adresse directement à elle. JEAN vient de rentrer d'Allemagne.Il était prisonnier, il a été libéré. Lorsque nous lui avons demandé : « Jean, de quoi parliez- vous surtout, làbas ?» il nous a répondu sans hésiter : « Des femmes ». Chacun a laissé en France une femme, une fiesancée, dont le souvenir et l'image peuplent les jours, envahissent les nuits. De temps en temps, une voix s'élève et un homme parle. Il dit : « La mienne est blonde. Si Si elle est jolie ? Je ne sais pas. Pour moi c'est la plus belle. Et elle sait faire le café. » » Le dimanche, elle me l'apportait au lit. On ouvrait la T.S.F. Elle aimait Tino Rossi. moi, je préférais l'accordéon. Alors on se disputait. On ne savait pas...- » Quand le petit est né, j'ai cru qu'elle allait mourir. Ce qu'elle était pâle, mon vieux ! Il paraît que c'est naturel. Mais moi, j'ai eu peur.„ » Elle avait une robe bleue que j'aimais. Je me demande si elle la porte toujours. Elle m'a écrit qu'elle avait maigri. Son nom, c'est Madeleine... Madeleine.. Que fait-elle sans moi ?» Que faites-vous sans lui, Madeleine Au début, vos amies se sont occupées de vous. On a dit : « Il ne faut pas la laisser seule ». Et puis, chacun a été repris par ses propres soucis, et vous êtes restée avec votre solitude. Vous avez appris les déjeuners que l'on prend en hâte sur le coin de la table et les soirées mornes qui succèdent aux journées pesantes. Vous avez appris à porter seule le poids de la vie, à vous endormir dans une chambre que le bruit d'un pas d'homme ne vient plus réchauffer. Les coins de votre bouche se sont peutêtre légèrement affaissés, dans cette expression éternelle des femmes tristes. ILn'y a plus de désordre dans la maison. Et le soir, c'est vous qui lisez le journal. D'abord, vous avez fait l'inventaire de vos souvenirs. Il y avait le jour où vous l'avez connu, le jour où vous avez acheté le fauteuil rouge .IL y avait tous les jours où il ne se passait rien, mais où il était là, et vous près de lui. En rangeant vos affaires, vous effleuriez dans l'armoire la manche de son costume gris, et vous pleuriez. Puis, après cette grande souffrance, une autre est venue, calme, sans larmes. Vous attendez. Alors, dans l'attente, peu à peu, vous avez peutêtre créé un personnage déformé par l'absence. Loin de lui, vous avez oublié qu'il laissait traîner ses lames de rasoir et que son front se dégarnissait qu'il voulait, le dimanche, aller à la pêche et que cela vous ennuyait prodigieusement, qu'il aimait les films d'aventures et vous les histoires d'amour. Vous avez oublié qu'il était un homme de chair et de sang, avec ses manies, ses imperfections, ses goûts parfois différents des vôtres. Vous l'avez paré d'une auréole dont l'éclat vous éblouit. Vous en avez fait l'Absent. Et ceci, ce n'est pas être parfaitement fidèle. Celui qui rentrera, ce n'est pas l'Homme idéal que votre imagination a doucement inventé. C'est un homme comme tous les autres, que la captivité aura fait plus sensible. Pendant des mois, il aura vécu sur un rythme différent, une vie où recevoir vos lettres, dormir, manger, auront été les actes les plus importants, où il aura dit chaque soir à ses camarades : « Moi, la première chose que je ferai quand je reviendrai... » Car ce retour, c'est aujourd'hui la limite de son avenir. Plus que jamais votre compréhension et votre tendresse lui seront nécessaires. C'est à vous qu'incombera la tâche de lui donner une seconde fois la vie. Pour se libérer, il faudra d'abord qu'il vous raconte tout. Ce qu'il ne dira pas, vous saurez le comprendre, et d'abord qu'il a besoin de vous. Doucement, vous lui rendrez, avec son prestige d'homme, les guides de votre vie commune. Ce grand bouleversement de l'existence, depuis la conception des valeurs profondes de la vie jusqu'à l'utilisation des semelles de bois, vous avez eu quelques mois pour en accepter l'évolution, tandis qu'il aura quelques jours pour s'y adapter. Protégé par votre douceur, il réapprendra les gestes de la vie quotidienne, gestes différents de ceux qu'il a connus et qui lui donneront le sentiment d'avoir lui-même changé. Pour qu'il se retrouve tout à fait, il faudra d'abord qu'il vous retrouve, telle qu'il vous a aimée, telle qu'il vous a peutêtre un peu créée. Le courage que son absence exige de vous ne doit pas durcir votre âme et votre visage. Ne fermez pas votre esprit à la joie, à la beauté, à l'espoir. A celui qui rentrera, vous avez le devoir de remettre intacts votre cœur et votre sourire. Alors seulement, lorsqu'il vous reverra dans cette robe bleue qu'il aimait, lorsqu'il reconnaîtra votre parfum et l'intonation que, seule, vous savez prendre pour prononcer son nom, alors il saura qn'il revit.
Mardi, octobre 29, 2013
Paris-Soir
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