Un poète, un amuseur, un dentiste

Sur deux films de Jean Effel « La création du Monde » et Peter Ustinov « Billy Budd »
HOMMES

Un poète, un amuseur, un dentiste

N'y aurait-il qu'un sujet au monde, celui du Bien et du Mal ?

Un poète bondissant de la feuille blanche à la toile blanche, un amuseur devenu grave et un dentiste devenu amuseur... Tels sont trois hommes dont on parle cette semaine, à Paris.
Michèle Manceaux vous rapporte, à la page suivante, ses entretiens avec Jean Effel, Peter Ustinov et P.-A. Bréal.
De « La Création du Monde » dont il fit quelques albums célèbres de par le monde, Jean Effel a tiré un film de long métrage en forme de dessin animé, délicieux, tout pétillant de trouvailles, et d'une tendresse de mécréant au grand cœur pour un monde si bien et si mal fait.
Les théologiens s'en offusqueront peut-être, mais le bon Dieu de Jean Effel est tout pareil à celui qu'imaginent les petits enfants lorsqu'ils font, le soir, leur prière : un vieillard barbu, malicieux et génial, qui a l'œil à tout.
Le ferme-t-il un instant ? Le Diable en profite. Le bon Dieu crée la rose ? Le Diable invente l'épine. Le bon Dieu crée la mer ? Le Diable invente les vagues.

Le mouton, frisé ?

Avant d'aller voir « La Création du Monde », déposez votre carapace d'adulte « bien informé ». Et alors, doucement, joyeusement, vous rirez aux réponses que Jean Effel donne aux questions que, depuis la nuit des temps, les hommes chuchotent :
Pourquoi y a-t-il des trèfles qui ont quatre feuilles ? Pourquoi le zèbre est-il rayé ? Le léopard, moucheté ? Le mouton, frisé ? Jean Effel le sait.
N'y aurait-il qu'un sujet au monde, celui du Bien et du Mal ? On est tenté de le croire lorsque, sortant de « La Création du Monde » vue par Jean Effel, on assiste à « Billy Budd », réalisé par Peter Ustinov.
Ustinov est essentiellement connu en qualité d'auteur (« L'Amour des quatre colonels ») et de comédien léger. Aussi l'a-t-on vu avec quelque surprise choisir, pour aborder à la mise en scène cinématographique, le récit très dramatique d'Herman Melville.
« Billy Budd, gabier de misaine », est le dernier roman de Melville, celui où l'auteur expose l'éternel conflit entre l'ordre et la justice, à travers l'aventure d'un jeune matelot au cœur pur (un Adam avant la chute, dit-il) enrôlé sur un voilier au temps des grandes mutineries qui soulevèrent la flotte anglaise.
Billy, accusé d'un crime qu'il n'a pas commis, mourra pendu, au nom de la loi.
Le roman, riche de tous les sortilèges de Melville, a le goût de la mer et celui, amer, de la désillusion. A la fin de sa vie, Melville ne croyait plus, semble-t-il, au triomphe de l'homme pur sur la société corrompue.
Grâce à une adaptation large, intelligente et sensible, Peter Ustinov n'a pas rétréci l'œuvre dont il s'est inspiré. Au contraire, il lui a ajouté la dimension de sa propre foi dans le progrès.
Si les qualités de l'homme de théâtre et du directeur d'acteurs sont ici évidentes, il est non moins évident qu'Ustinov ne maîtrise pas les ressources de l'écriture cinématographique et qu'à cet égard il eût mieux servi un sujet moins ambitieux. Mais est-on jamais trop ambitieux ?

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express