Un charme brûlant

« Landru » de Chabrol, dialogues de Françoise Sagan. Succès du film aux Etats-Unis. Relate l'histoire de Landru.
CINÉMA

Un charme brûlant

Au four, les bonnes femmes !

« Landru », de Claude Chabrol, avec Charles Denner, Danielle Darrieux, Michèle Morgan, etc.

Est-ce au nom magique de Landru ou à celui de Françoise Sagan que confiance fut faite pour allécher les Américains ? C'est peut-être au couple. Toujours est-il qu'avant même d'être commencé, le septième film de Claude Chabrol, dialogué par Françoise Sagan, était déjà vendu aux Etats-Unis à prix d'or.
Plus question, cette fois, de tourner entre amis en vidant sa tirelire : il y a de la couleur, du décor, du costume, de la vedette, et un soin extrême, dans le gros comme dans le détail. Il y a aussi du ton, ou plutôt un ton auquel il est impossible de demeurer insensible. On s'en agacera ou on s'en délectera, c'est selon.
Ce ton — dont on ne sait ce qu'il doit à Chabrol et ce qu'il doit à Sagan — c'est celui de l'anarchisme mondain, du rire sous cape.
Va pour l'anarchisme. Rions sous cape de la police et des anciens combattants et des mères de familles nombreuses. Non, il n'y a pas de curé. Etonnant. Ils ont dû oublier.

Barbu courtois

Ces anarchistes-là ne risquent certes pas de faire sauter la société. Tout au plus Mme de Gaulle sur son fauteuil, s'il lui arrive d'aller au cinéma.
Mais le même ton prend de la vigueur lorsqu'il sert à peindre Landru, le fascinant.
On sait que ce barbu courtois escamotait les dames après les avoir séduites, en les faisant griller dans sa cuisinière à charbon. Elles ne lui laissaient point de remords : tout juste leurs économies. Encore semble-t-il que l'une des dix victimes de son charme brûlant fut mise en cendres sans bénéfice. Les autres lui rapportèrent, ensemble, 35.642 f 50.
Il poursuivit tranquillement son petit commerce de 1915 à 1919, époque bénie pour qui chassait l'esseulée (« La guerre se termine trop tôt pour moi », dit-il, mélancolique, le jour de l'Armistice.)
Arrêté, il ne se départit jamais de son calme ou de sa courtoisie, et ne perdit pas un instant l'esprit, cet esprit qui mit, tout au long de son procès, le public de son côté. Si bien qu'aux élections de 1919 on trouva dans les urnes 4.000 bulletins à son nom !
Encore que sa culpabilité ne puisse faire de doute, puisque aucune des victimes présumées ne reparut jamais, il fut condamné à mort et guillotiné en 1921 sans s'être jamais trahi, protestant jusqu'au bout de son innocence et parvenant, pour ce que l'on sait, à en persuader son avocat, Me Moro-Giafferi. Il avait, comme tout le monde, une femme, une maîtresse et quatre enfants.
Il avait aussi une propension à l'escroquerie, dont son casier judiciaire fournissait la preuve. Mais qu'est-ce qui faisait courir Landru ?
L'interprétation que Chabrol offre du personnage a le triple mérite d'être savoureuse, cohérente et conforme à l'image que Landru donna de lui au cours de son procès. Et puis, pour un metteur en scène si visiblement fasciné par la mécanique de ces petites bêtes perfides que sont les femmes, quel plaisir de proposer un mode d'emploi ! Ce n'est pas lui qui se donnerait le ridicule de s'attendrir sur des souris, des punaises, des « bonnes femmes », quoi ! Au four, les bonnes femmes !

Petite friponne

Et son affaire est si bien vissée, si joliment faite, si magistralement servie par Charles Dernier dans le rôle de Landru, que l'on entre allègrement dans ce propos.
Pas sadique, Landru, oh ! non... Du cœur, et des principes avec ses enfants et sa digne épouse. Mais il fallait la faire vivre, cette petite famille. Où trouver l'argent du ménage ?
Alors, il séduit. Il séduit avec grâce, avec poésie, avec tact. Chauve et barbu, il est charmant. Comment il charme ? Eh bien ! comme on charme. En offrant le mariage, en ayant le désir respectueux et le respect concupiscent, en traitant les femmes en petites filles. Sur ce point particulier, Chabrol rejoint d'ailleurs non seulement la vérité éternelle, mais la vérité historique : Landru les appelait, ces bonnes dames, « petite friponne ».
Dur métier pour un homme sensible. On comprend qu'une fois, il fasse exception et s'accorde le droit de fréquenter une blondinette pour rien. Pour la joie du cœur. Pour le repos du guerrier. Elle s'appelait Fernande et il lui chantait l'opéra. Cela aussi est authentique.
Délicieuses dans leurs robes d'époque, Danielle Darrieux, puis Michèle Morgan, sont les premières à s'évanouir en fumée après avoir imprudemment accepté de se faire conter fleurette à la campagne. L'une et l'autre supportent vaillamment d'intenses gros plans en couleurs, jamais gratuits, exacts dans leur cadrage et s'inscrivant dans une écriture cinématographique fluide et précise. Elles sourient d'exquise façon et on se dit : « Sacré Landru », et on attend avec intérêt la suivante de ces dames.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express