...dites au choix qu'il est ennuyeux, barbant, chiant... mais, de grâce, parlez français!
Une raclée de la main droite, des roses de la main gauche, laissons les analystes décortiquer les mouvements de l'esprit et du cœur qui ont divisé la France en deux. Il me semble, sans être spécialiste de la science électorale, qu'on peut être à droite et se refuser à soutenir Tiberi, moins encore Charles Millon. C'est ainsi que Paris et Lyon, où ils s'étaient incrustés, sont tombés. Avec fracas, car ce n'est pas rien. C'est Raymond Barre qui doit être content ! Ailleurs, la gauche s'est débandée. On se croit civilisé, démocrate et, c'est drôle, quand apparaît sur l'écran celui ou celle qui a évincé l'une ou l'un de nos amis, on le trouve affreux, une tête de traître, et ce qu'il dit est tellement bête ! On est d'un coup d'une affreuse mauvaise foi. Au bout de cette soirée où chacun eut, à quelque moment, le sentiment d'avoir perdu et celui d'avoir gagné, il était au moins clair que Jacques Chirac et Lionel Jospin allaient avoir beaucoup à faire pour remettre à plat leur stratégie présidentielle. Laurent Ruquier a une drôlerie vive, spontanée, ce qu'il faut de méchanceté mais pas d'aigreur, on n'a pas honte de rire avec lui. Il était, l'autre soir, autour de minuit, le héros choyé de Marc-Olivier Fogiel dans « On ne peut pas plaire à tout le monde » (France 3). Tout se passa bien dans la bonne humeur, les éclats de rire et les saillies de Laurent Ruquier, jusqu'à ce que vienne l'entourer sa troupe, une douzaine de personnes qui participent à son spectacle hebdomadaire sur France 2. Alors les uns et les autres, c'est-à-dire tous, se bousculant, ne trouvèrent pas assez de mots pour dire combien Laurent était beau, bon, magnifique, généreux, intelligent, chacun en remettait sur l'autre pour suffoquer d'admiration. Une petite voix, sensible sans doute au caractère ridicule de ce concert hagiographique, murmura : « Laurent est susceptible ! » Spectateur d'une telle scène organisée à la gloire d'un de ses confrères, Laurent Ruquier aurait eu une formule meurtrière. On s'épargnera d'en chercher une parce que, tout de même, on l'aime bien Ruquier? Plus tard, lui succéda sur le plateau Christine Ockrent, habituée des antennes nocturnes, belle et sereine comme toujours. Elle publie un livre sur Hillary Clinton, très bien fait. Rien du pavé de 500 pages avec appareil de notes. Son ouvrage est svelte, bien informé sur un personnage complexe, changeant de coiffure tout le temps, cherchant son identité, enchaînée au mari dont elle est amoureuse? Maintenant que celui-ci a de nouveaux ennuis, va-t-elle pour la première fois réussir à jouer perso ? Christine nous tiendra au courant. Le héros de la semaine, choyé par les médias avant que les élections ne l'en écartent un peu, c'est Yves Parlier, le marin du Vendée Globe arrivé treizième aux Sables-d'Olonne. On sait qu'il a cassé son mât en route et que, néanmoins, il a poursuivi la course. L'accueil enthousiaste qu'il a reçu est coutumier du public français qui a toujours préféré le second au premier, Poulidor à Anquetil (Vous ne savez pas qui c'est ? Demandez à grand-père), le faible valeureux au fort souverain. C'est un trait national. A quel trait faut-il attribuer l'empressement que nous mettons à détruire notre langue ? Il n'y a pas de jour où, à la télévision, on n'entende à propos de telle ou telle équipe sportive, « Moi, je les supporte ». En français, on supporte ses enfants, ses parents, mais une équipe, on la soutient? Anglicisme stupide que rien ne fonde et qui s'est infiltré dans la langue de tout le monde. Un nouveau venu a pris le départ : « boring ». On jette son mec parce qu'il est « boring ». Les équivalents français ne manquent pas : ennuyeux, barbant, chiant? Rien à faire. L'anglicisme ne doit pas être traité comme la peste, il y en a d'irremplaçables qui enrichissent le français et inversement d'ailleurs. Ce qu'il faut combattre, chacun pour soi, c'est la décrépitude qui est en train de gagner le français, de ruiner son élégance, sa clarté, sa musique. Il est normal qu'une langue bouge, le français n'a cessé de bouger, il fallait entendre à ce sujet, chez Pivot, M. Savignac qui est expert? en gaulois et publie une « Histoire de la langue française ». Le gaulois, langue orale évidemment, a été victime de César qui a imposé celle de Rome avec ses administrateurs. Il paraît qu'il nous en est resté un accent, selon Jean-François Deniau. Sommes-nous à l'une de ces époques où le français bouge particulièrement ? Où est-il en train de se déliter ? C'est toute la question. F. G.
Jeudi, mars 22, 2001
Le Nouvel Observateur