Devenir intouchables, est-ce donc l'idéal des Américaines? Le pire est qu'elles sont en train d'y arriver
Inoxydable Callas! On redoutait une enfilade des sempiternelles photos d'archives, du rabâchage sur sa vie privée. L'hommage d'Arte ne fut rien de tel. Un montage bien équilibré entre témoignages inédits, anecdotes significatives, Callas hors scène, Callas en scène... S'y ajoutaient l'acteII de «Tosca» et le tournage de «Médée», le film de Pasolini, commenté par une femme, Laura Betti, qui descendit la diva en flammes. Mauvaise comédienne, nous dit-elle, ô sacrilège. Un personnage apparaissait à travers toutes ces images, sublime dans l'exercice de son art, ambitieuse, acharnée, travaillant quatorze heures par jour, construisant son visage, son corps, exigeante, difficile - «Personne ne m'a jamais donné d'ordre» -, habitée par la musique. Jusqu'au jour où la voix divine s'est brisée. J'ai rencontré la Callas un soir, dans les années 70, au cours d'un dîner intime. Elle était silencieuse, comme retirée derrière son visage tragique, elle avait les yeux cernés des femmes seules qui pleurent la nuit. Inoubliable Callas! 381heures pour Diana Spencer, 81heures pour mère Teresa; funérailles exclues, c'est le temps que la télévision aurait globalement consacré à la première. N'en a-t-elle pas trop fait? Interrogé dans «Arrêt sur images», Albert du Roy, directeur de la rédaction de France 2, grand pourfendeur d'hypocrisie, a eu le courage de dire non. La mère Teresa n'occupait qu'un créneau dans l'intérêt du public : l'admiration pour son action. Diana occupait le créneau de l'amour et de la mort prématurée, de la royauté, du dévouement à autrui, outre la place inouïe qu'elle avait prise dans le cœur des Anglais. S'agissant de sa chaîne, du Roy ne voit rien à lui reprocher et affirme avec force que dans le traitement de toute cette affaire, comme dans d'autres moins spectaculaires, la responsabilité des éditeurs de presse et de télévision, celle des héros de ces affaires, si prompts à s'exhiber, et celle du public sont indissociables. Ce qu'on lui concédera volontiers à une remarque près : la demande du public n'existerait pas s'il n'y avait pas d'offre. Soumise aux feux croisés de Michèle Cotta et de Sylvie Pierre-Brossolette dans «Polémiques», Martine Aubry s'est bien défendue. Avec calme et sans agressivité. Les questions allaient de soi, les réponses furent claires. La suite du débat, qui réunissait quelques enseignants et parlementaires autour des déclarations tonitruantes de Claude Allègre, fut moins heureuse. Idées reçues, complaintes classiques, rien de constructif. C'est à Canal+ que le débat fut vivant. Là, Claude Allègre fut confronté à une petite foule de jeunes gens que Philippe Gildas essayait de gouverner. On peut comprendre le ressentiment des syndicalistes à son endroit. Il cogne fort. Tactique? Erreur? L'évident est qu'il y a chez cet homme une force et un talent certains pour formuler ce qui dérange. Dira-t-on qu'il vaallegro troppo? On trouve de tout aux Etats-Unis. Même des gens sensés. Mais à quel délire puritano-féministe sont-ils en train de succomber? «Envoyé spécial» nous a montré un garçon de 6ans renvoyé de l'école parce qu'il avait embrassé une petite compagne. Harcèlement sexuel. Les parents sont fous de rage. Ils réclament en justice des indemnités. Cela fait l'affaire de l'un des milliers d'avocats qui se saisissent des cas de harcèlement sexuel et obtiennent des indemnités substantielles. Dans un collège de Boston, relèvent du harcèlement sexuel l'usage des mots «grognasse», «salope», «putain»... Cinq lycéennes ont attaqué les coupables. Rappelons qu'en France la loi reconnaît et punit le harcèlement sexuel mais seulement quand il est exercé par un ? ou une ? supérieur(e) hiérarchique. Dans l'armée américaine, féminisée à 10%, 849plaintes ont été déposées cette année. Le harcèlement sexuel commence quand un homme touche le bras d'une femme. C'est la règle de base, on ne doit pas toucher. Le Club Méditerranée a dû donner des instructions strictes à ses GO: «Faites très attention, ne touchez pas, cela nous coûte les yeux de la tête.» Devenir intouchables, est-ce donc l'idéal des Américaines? Le pire est qu'elles sont en train d'y arriver. F. G.
Jeudi, septembre 18, 1997
Le Nouvel Observateur