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Réagit face au rejet de la candidature de Dominique Wallon au concours d'entrée à l'ENA pour manifestation d'opinions. Fait un parallèle avec les conjurés ayant tenté d'assassiner De Gaulle peu avant. Raille la prétendue décapitation du mouvement de l'OAS
Quels sont les vices qui rendent un citoyen impropre à servir l'Etat ? M. le Premier Ministre vient de donner à cette question une réponse que l'attentat dirigé contre le général de Gaulle pimente d'une amère saveur.
Par le truchement de M. Guillaumat, chargé de la Fonction publique, il a fait connaître à M. Dominique Wallon, président de l'U.N.E.F., que sa candidature au concours d'entrée à l'Ecole nationale d'Administration était refusée.
Le délit d'opinion ne pouvant être retenu, en vertu de la Constitution, c'est la « manifestation d'opinions » qui est alléguée.
Précisons que le père de M. Dominique Wallon est « mort pour la France », comme on dit, comme tout le monde, comme tant de monde, et que ce jeune homme est pupille de la Nation. M. le Premier Ministre de la V République ne saurait donc mieux faire ressortir que la Nation, ce n'est pas lui.

Dominique Wallon a 22 ans. Le régime gaulliste et ses serviteurs auront disparu depuis longtemps qu'il sera encore un homme jeune, auquel les occasions se présenteront de servir son pays comme il l'entend, s'il en conserve le désir. Nous le retrouverons peut-être un jour Premier Ministre. L'indécent, dans cette histoire, c'est qu'au moment même où il est traité tel un dangereux virus à ne laisser, à aucun prix, pénétrer dans l'organisme de l'Etat parce qu'il a manifesté avec fougue à l'égard de l'Algérie les sentiments que le général de Gaulle a exposés la semaine dernière avec lassitude, ledit organisme a ouvertement laissé paraître qu'il avait la vérole.
Les conjurés, dont on nous dit qu'ils ont voulu, conçu et entrepris d'assassiner le Président de la Ve République, ils se trouvaient, eux, à l'intérieur de la machine de l'Etat. L'un était attaché à l'état-major de l'Armée. La moindre des choses. Un autre a été chargé de mission au cabinet du secrétaire général pour les Affaires algériennes, et siégeait au Conseil économique. Un troisième, chargé de cours à l'institut d'Etudes politiques, faisait des conférences dans les écoles militaires. Et de combien de complices faut-il qu'ils aient eu le concours pour déjouer le minutieux système de sécurité dont on nous a abondamment décrit les mécanismes ?
A se demander s'il existe un seul pays civilisé ou semi-civilisé où de telles précautions doivent être prises lorsque son Président veut aller faire un tour aux champs.
Original, également, de voir un ministre de l'Intérieur rester en place après que le chef de l'Etat a failli trépasser dans un attentat. Il est vrai qu'au point où en est le régime, il faut faire avec ce qu'on a. Et à remplacer M. Frey, on risquerait de voir M. le Premier Ministre choisir, par inadvertance, le prochain chef clandestin de l'O.A.S. en France, comme ministre chargé de la sécurité du général de Gaulle ! Car sait-on quelle tête repoussera sur le corps de cette O.A.S. prétendument décapitée ?
Décapitée ! Si toute cette affaire n'était pas totalement dramatique dans tous ses aspects, ce « décapitée » ferait rire.

Une situation irréversible a été créée à l'intérieur de laquelle la paix civile est suspendue à l'existence d'un homme. Et maintenant, ceux-là même qui tiennent cette paix pour le bien suprême, ceux-la même qui sont attachés à la vie du chef de l'Etat autant qu'à la leur et qui ont lié leur sort à celui de son régime, que font-ils ? Tentent-ils, à la radio, à la télévision, dans la presse dévouée au gouvernement, de dire enfin la vérité, de faire connaître qu'il y a, en France, un parti prêt au crime pour s'emparer du pouvoir et que seul le grondement d'une opinion publique éveillée et hostile peut contenir ?
NON. Ils se félicitent. Ils se congratulent. L'O.A.S. est décapitée. A nous l'anesthésie qui a déjà si bien réussi. Combien de fois avons-nous déjà été informés, par les mêmes, que la rébellion algérienne avait été « décapitée » ? Sans en revenir au « dernier quart d'heure », à la guerre « virtuellement terminée », et autres plaisanteries du même goût. Ou les détails divulgués au sujet de l'attentat sont faux. Ou ils sont exacts, et l'O.A.S. dispose d'un réseau assez bien alimenté, en fonds, en moyens techniques et en matériel humain pour sécréter de nouvelles têtes au fur et à mesure qu'on les lui coupera, avec des pauses entre chaque « accident du travail ». C'est une vieille histoire, celle de tous les mouvements qui ont pratiqué le terrorisme.
Quand ce sont les colonels et les généraux qui s'y mettent, et que, élevés dans le sérail, non contents d'en connaître les détours, ils s'y promènent comme chez eux, plastic puisé à l'Intendance, les « têtes » doivent se reconstituer plus vite encore.
Quand, par la volonté même du chef de l'Etat, qui ne sut ni ne put devenir le chef des armées, plus rien ne s'interpose entre leurs ambitions et leurs objectifs qu'un peuple chloroformé, une administration malade de la peur et un fragile écran de chair et d'os, peut-on même parler du danger de « guerre civile » ? Il existe, mais on peut aussi imaginer que cent hommes de gauche notoirement irréductibles se feront tuer, et qu'un millier d'autres auront quelques désagréments. Après quoi le pays apprendra par la voix de la radio et de la presse, la même, amputée de quelques indociles, que l'organisation ennemie de la France et du général Salan a été « décapitée ».
Puis, naissant de beaucoup de souffrances et de convulsions, l'horrible jeu recommencerait, avec de nouveaux joueurs.
Tout cela sera bien intéressant à lire, pour nos petits-enfants, dans les manuels d'histoire, et bien distrayant dans ceux de la petite histoire qui retiendra cette semaine une terrible anecdote : celle que raconte l'un des ministres expulsés au cours du dernier remaniement. A l'en croire, après avoir été sollicité par le Premier Ministre d'accepter une ambassade, et après avoir refusé ce certificat de bonne conduite, il a reçu en guise de remerciement une lettre fort amicale accompagnée d'un beau porte-documents. A l'intérieur : trois millions, en billets de banque. Retournés à l'expéditeur.
Un régime qui prétend rétribuer au pourboire le dévouement de ses serviteurs ne peut se créer que des valets, ou des ennemis.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express