Sans titre

Les résultats d'un nouveau sondage créditent Mitterrand de peu de voix. S'interroge avec inquiétude : l'alternance politique pourrait apparaitre comme impossible en France.
Se peut-il qu'une fois encore, après seize ans d'exil, et menée au combat par un leader de grande dimension, la gauche reste à la porte du pouvoir, incapable d'en franchir le seuil ?
Les chiffres le donnent à craindre. D'autres que moi diront qu'ils l'espèrent.
Si réticent que l'on soit devant certaines dispositions du Programme commun qui semblent avoir été élaborées en 1935, si brillante que soit la performance personnelle de M. Giscard d'Estaing et si forte la séduction que la jeune droite exerce sur ceux qu'excède le poids de la gauche antique, il n'y a personne qui ne puisse être choqué — et inquiet — à l'idée que l'alternance risque d'apparaître, désormais, comme impossible en France.
Le pouvoir confisqué, les structures économiques et sociales figées, c'est plus dangereux dans un autre genre que des ministres communistes dans un gouvernement présidé par M. Defferre.
Les chiffres ne sont pas tels que les chances de M. Mitterrand soient dès aujourd'hui abolies. Mais elles paraissent fragiles, et il faudrait, pour les consolider, que sept à huit cent mille voix qui ne lui sont pas encore acquises le rallient.
Où se trouvent-elles ? Dans cette très large fraction de l'électorat que les penseurs de gauche appellent avec dérision « la petite-bourgeoisie », dont la plupart sont issus, qui ne cesse de croître et que traversent des courants et des aspirations contradictoires.
Curieusement, M. Mitterrand semble la négliger comme s'il la croyait incorrigiblement réactionnaire quand elle n'est pas inscrite au P.s.u.
Pourquoi ceux qui ne l'ont pas suivi jusqu'à présent le rejoindraient-ils de préférence à M. Giscard d'Estaing ? S'il ne trouve pas la bonne réponse à cette question, il ne franchira pas la barre sur laquelle la gauche se brise scrutin après scrutin.
Ses amis lui ont conseillé de se passer au cou la croix de Lorraine pour y parvenir.
A ajouter le nationalisme aux nationalisations, il risque, hélas ! de s'alléger d'autant de voix que cette tactique peut lui en faire gagner.

FRANÇOISE GIROUD

Donc, nous aurons la semaine prochaine un président de la République à la hauteur de ses fonctions et un excellent leader de l'opposition.
Lequel sera lequel... Les additions fiévreuses auxquelles se livrent les électoralistes — un gaulliste et demi plus un demi-gauchiste plus un tiers de centriste moins un agriculteur et demi plus un cadre supérieur virgule deux — sont irréelles comme elles l'ont toujours été. Aux présidentielles, deux et deux n'ont encore jamais fait quatre.
Les voix flottantes entre les deux tours, soit parce qu'elles ont perdu leur candidat de prédilection, soit par défaut d'enthousiasme à l'égard de l'un et l'autre prétendant, s'expriment toujours, à la fin, du côté où se trouve le désir inconscient de la nation.
Parce que l'inconscient est dix fois plus fort que le conscient, ce que la science politique sera, semblet-il, la dernière à découvrir. Et beaucoup plus rusé. Il se faufile partout, le traître.
Je ne crois pas un instant au miracle de « la » voix par laquelle la République fut votée en 1875. Et pas davantage à la mince poignée de bulletins qui donna la victoire à John Kennedy sur Richard Nixon, en 1960. C'était l'heure de l'une, et de l'autre.
Je crois que par une mystérieuse communication qui ne transite pas par la parole, une partie des électeurs délèguent aux moins passionnés le soin de voter avec leur main gauche pendant qu'eux-mêmes votent avec leur main droite, à moins que ce ne soit le contraire.
Je crois que la force avec laquelle la somme des volontés inconscientes pèse sur les indécis est sans commune mesure avec l'impact à peu près nul des séductions verbales déployées pour les influencer. Le résultat du scrutin sera donc fortement significatif, même si la marge est étroite entre les deux candidats. L'Histoire ne se fait pas par hasard.
Reste à exprimer un choix personnel. Voter en obéissant à ses intérêts ? Je sais d'humbles gens qui voteront Giscard. Et des bourgeois heureux qui voteront Mitterrand, au mépris de ce que leur commande leur situation. Voter en fonction des intérêts de la France ? Les arguments plaident pour l'un autant que pour l'autre.
Voter avec son cœur ? Pourquoi pas avec ses pieds, selon qu'une station de métro sera ou non créée à proximité du lieu où l'on habite ? Avec sa mémoire ? Chacun sait que nous entrons dans l'avenir à reculons et que les références au passé n'éclairent jamais le futur d'une lumière exacte.
Pour finir, on tombe toujours du côté où l'on penche. J'y tomberai donc, n'engageant, ici, que moi.
Mieux vaut le reconnaître que de déguiser sous le masque de la raison et les oripeaux des nobles sentiments ce qui relève de forces d'autant plus contraignantes qu'elles sont plus complexes.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express