Sans titre

Renouvellement dans ses fonctions de Premier ministre de M. Messmer, par Pompidou. Met en avant l'incohérence et inefficacité gouvernementale. Évoque la santé du Président, dont il ne faudrait pas se soucier.
Ainsi, il paraît que M. Messmer remplace M. Messmer pour que le nouveau gouvernement de M. Messmer raccourci de quelques Vertadier soit « cohérent » (serait- ce que le précédent était incohérent ?), « efficace » (serait-ce qu'il était inefficace ?) et « solidaire » (serait-ce qu'il était désuni ?). Il paraît que, substituant M. Messmer à M. Messmer, lequel avait déjà succédé à M. Messmer, M. Pompidou nimbe d'une fraîche auréole son Premier ministre et le met en place dès lors « pour un certain nombre de mois avec une stabilité ministérielle qui ne pourra pas être remise en cause par les observateurs politiques ».
Serait-ce qu'il est interdit aux observateurs de constater l'incohérence, l'inefficacité et l'indiscipline gouvernementales avant que le président de la République daigne les constater et les dénoncer lui-même ?
Il paraît que M. Pompidou s'est déclaré « exaspéré » par les conclusions que les observateurs tirent de ce qu'ils observent. Confidence pour confidence, il n'a pas le monopole de l'exaspération.
Il ne suffit pas, a-t-il remarqué au Conseil des ministres, « que M. Zitrone proclame que M. Poniatowski a du génie pour que la chose soit vérifiée ».
Comme il ne suffit pas davantage que M. Pompidou proclame que M. Messmer gouverne pour que la chose soit vérifiée, les voilà quittes.
Ce que chacun peut vérifier, en revanche, ce sont les effets de la dissimulation, cet art où le président de la République est maître. Peut-être pour voiler aujourd'hui une simple vérité humaine, sa grande fatigue ?
Il paraît qu'il est indécent de s'inquiéter de la santé du président de la République. Serait-ce décent, par hasard, de ne pas s'en inquiéter ?
Le climat où nous sommes, une vieille histoire l'illustre. Celle de deux hommes d'affaires qui se rencontrent à Orly.
« Et où allez-vous, cher ami ? demande l'un.
— Moi ? Je vais à Milan », répond l'autre.
Et le premier de penser : « S'il me dit qu'il va à Milan, c'est pour me faire croire qu'il va à Francfort. Or, je sais qu'il va à Milan. Pourquoi me ment-il ? »
C'est le résumé le plus fidèle que l'on puisse donner de la situation politique telle qu'elle est vécue, en privé, par ses principaux acteurs.
Méfiance et suspicion des uns à l'égard des autres, du Président à l'égard de tous... Seul M. Messmer, avec la liberté d'un soldat qui sait mal farder la vérité, peut aller répétant :« Moi, je ne fais pas de politique... » sans que personne songe à mettre sa parole en doute.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express