Sans titre

Après avoir accueillie massivement en France, les réfugiés chiliens, partisans d'Allende, la France reçoit un représentant de la junte militaire. Révolte de FG.
M. Tung Pi-wu, qui fait en Chine fonction de président, recevra incessamment les lettres de créance du nouvel ambassadeur du Chili à Pékin.
A Paris, c'est chose faite.
Ailleurs aussi, sans doute.
Les Etats sont des monstres froids, et leurs présidents des pantoufles aux pieds de ces monstres.
La France a été, c'est un fait, plus que tout autre pays, hospitalière aux réfugiés chiliens.
C'est un grand malheur d'avoir à s'exiler, le cœur en deuil et les mains vides. Ces mains sont, de surcroît, celles de « bourgeois » qui n'ont jamais appris l'un de ces métiers manuels si précieux lorsqu'il faut reprendre racine.
Que ce millier d'hommes et de femmes, partisans de Salvador Allende, fuyant la prison, la torture ou l'exécution n'aient pas demandé plutôt asile aux pays dits socialistes — lesquels ont d'ailleurs à peine entrouvert leurs frontières aux Sud-Américains en détresse — on peut le prendre comme on voudra. Et, pourquoi pas, comme un hommage à une certaine idée de la France qui, en l'occurrence, a coïncidé avec la réalité. Le fait est assez rare pour être signalé.
Pourquoi faut-il qu'en même temps le président de la République accueille l'ambassadeur de la junte comme si le Chili avait tout bonnement changé de gouvernement après des élections un peu mouvementées ?
On objectera qu'il ne pouvait pas l'insulter. Et que, sitôt un gouvernement étranger établi, l'ordre international des choses veut qu'il ait une représentation diplomatique. Mais la diplomatie est précisément, de tous les arts anciens, le plus riche en nuances. Entre la fin de non-recevoir et la réception empressée, il existe une gamme de conduites subtiles, en accord avec les bonnes manières, par lesquelles s'expriment des humeurs et se marquent des distances.
Foin de distances, embrassons-nous, Pinochet. Et poursuivons « une collaboration mutuellement bénéfique », comme l'a dit, en propres termes, M. Pompidou, en serrant la main de M. Duran Villareale, directeur du journal « El Mercurio » de Valparaiso, promu au rang d'ambassadeur.
Sa paume en garde l'odeur fade du sang. On sait, depuis lady Macbeth, que tous les parfums d'Arabie demeureront impuissants à la dissiper.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express