Sans titre

Débat entre Debré et Pierre Mendès France. Critique de la répartition des richesses, très largement inégalitaire.
M. Michel Debré a parlé de générosité. M. Pierre Mendès France a parlé de justice. Rien d'autre ne les a réellement distingués, au cours du débat télévisé qui les opposait mercredi dernier. Mais la distinction était de taille.
Séparés sur le point de savoir à quel moment le feu a pris — depuis quinze mois, version Debré ; depuis quinze ans, version Mendès France, à moins que ce ne soit depuis Astérix comme un historien sérieux pourrait le démontrer — s'éternisant dans leur désaccord sur ce qu'il eût fallu faire, les deux hommes sont manifestement du même avis sur ce qu'il faut faire.
En deux mots : planification et sobriété, ladite sobriété ne devant pas léser plus encore ceux qui sont déjà sobres par nécessité.
C'est là que M. Debré invoqua la générosité sociale ; M. Mendès France, la justice sociale. Et ce mot de « générosité », prononcé plusieurs fois, donna soudain à M. Debré un côté comtesse de Ségur née Rostopchine qui le mit à sa place. C'est-à-dire à droite. Là où l'on a ses pauvres.
La générosité individuelle est partout, et peut-être davantage chez M. Debré que chez bien des gens qui, à gauche, en font profession. Mais, au niveau de la collectivité nationale et des groupes qui la composent, un tableau nous renseigne. Etablissant « le rapport du revenu moyen des 10 % les plus riches au revenu moyen des 10 % les plus pauvres », il révèle que ce rapport serait, en Occident, de :
15 en Grande-Bretagne
20,5 en Allemagne fédérale
29 aux Etats-Unis
33 aux Pays-Bas.
Et en France ? Le rapport serait de 76. (On trouvera ces chiffres, tirés des statistiques des Nations unies, à la page 203 du livre de Jacques Attali, « L'Anti-économique ».)
Bien que les comparaisons internationales exigent d'être maniées avec précaution, il y a là plus qu'une indication.
Il va de soi que le revenu des « 10 % les plus riches » n'est fait, nulle part, de salaires, fussent-ils élevés. La fiscalité y pourvoit. Si générosité il y a eu, sous le règne de l'U.d.r. et assimilés, dans la répartition par l'Etat du gâteau que représente le produit national, elle ne s'est jamais exercée au détriment des revenus du capital.
Les recommandations de M. Debré, qui veut être généreux, et celles de M. Mendès France, qui veut être juste, sont donc différentes sur l'essentiel, c'est-à-dire dans l'esprit.
Il est vrai que c'est sans importance : ils ne seront écoutés ni l'un ni l'autre.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express