Sans titre

Après l'attentat terroriste d'un avion de la Pan Am
En ce temps-là, dit Matthieu, les mages arrivant à Jérusalem demandèrent : « Où est ce roi des Juifs qui est né ? Car nous avons vu son étoile se lever et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
Aujourd'hui, sombre est le ciel de Judée, et sur la plus grande fête du monde chrétien plane l'odeur affreuse de la chair calcinée.
Sur les aéroports d'Europe occidentale, la terreur rôde. Ce voyageur qui passe porte peut-être notre mort. Ou celui-là.
Pourquoi les Palestiniens extrémistes se priveraient-ils de tuer de l'Occidental, chrétien ou juif ? Aucune peine sérieuse ne les menace.
A l'exception de ce saint Jean Bouche d'or de l'Islam qu'est M. Kadhafi, les chefs arabes ont fait, bien poliment, semblant de croire que trente et une personnes brûlées vives dans l'avion de la Pan Am, c'est mal. Mais il ne faut pas leur demander d'en être sincèrement choqués. Un Français du XVIIe siècle ne l'eût pas été, d'ailleurs, davantage.
Le prix de la personne humaine a beaucoup varié dans le temps, depuis qu'une vie d'esclave ne valait rien. Et, dans l'espace, elle continue de varier. Sur les trottoirs de Calcutta, on chemine à travers les cadavres. Nul ne s'en émeut. Cent cinquante mères israéliennes demandent aux Syriens : « Où est mon fils ? Est-il vivant ? Mort ? Blessé ? Torturé ? Déporté en Union soviétique comme la rumeur — folle ? — commence à en courir, dites, où est mon fils ? Si je ne dois jamais le revoir vivant, au moins que je le sache. Dites, où est mon fils ? » Les Syriens ne répondent pas, et ne semblent pas comprendre ce qu'il y a d'intolérable dans ce silence, fût-ce pour leurs plus fidèles amis. Parce que l'aviation et le téléphone ont aboli la distance, parce que l'anglais ou le français sont parlés partout par une petite élite policée, on oublie. On oublie que le monde industriel n'évolue pas dans le même univers culturel, dans le même système mental que les autres mondes.
L'Europe ne s'est pas privée d'être cruelle, ô combien, et de bafouer l'impératif moral que Kant a formulé pour elle : prendre la personne humaine comme une fin, et jamais comme un moyen. L'autre semaine encore, l'attentat de Marseille contre le consulat d'Algérie... Mais l'Europe sait qu'elle n'en a pas le droit, que toute transgression à cet impératif est scandale et régression.
C'est cette conscience qu'il nous faut sauver quand on parle de la civilisation occidentale. L'automobile n'en est que le vulgaire appendice.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express