Réflexions sur la société de consommation et la création de ce que certains critiques appellent de faux besoins.
Ils osent à peine l'exprimer, mais ils n'en pensent pas moins.
Ceux qui ont connu le temps où l'on faisait « durer », le temps où l'on ne jetait jamais un vêtement, un ustensile, un morceau de ruban, ceux qui ont appris, enfants, à éteindre en sortant d'une pièce et à plier soigneusement le papier d'emballage de leurs cadeaux de Noël, ceux qui ont été grondés parce qu' « on ne doit rien laisser dans son assiette », ceux qui ont gardé vingt ans le stylo ou la montre reçus pour leur première communion, bref, ceux qui sont nés avant le temps du gaspillage éprouvent une sorte de plaisir sombre, et vaguement sadique, à l'idée que les enfants gâtés de la société de consommation sont sans doute au point d'apprendre le vrai prix des choses.
Ces crayons à bille et ces briquets que l'on jette, une fois épuisés, ils n'en ont jamais usé sans un vague sentiment de culpabilité.
Ces jeunes gens qui égarent, gâchent, prêtent, empruntent en affichant leur indifférence aux biens matériels, les irritent à la mesure de la peine qu'ils ont eue à acquérir ce qu'ils possèdent.
Aussi se sentiraient-ils facilement narquois, au milieu de leurs inquiétudes, à l'idée de la tête que vont faire ces chers petits quand ils seront privés de chauffage. De quoi se consoler un peu.
Ce ne sont pas de bien jolis sentiments, mais on peut les comprendre. Une génération tout entière a été placée en posture d'accusée parce que, en entrant dans la spirale production-consommation-croissance, elle a créé ce qu'il est convenu d'appeler de faux besoins.
Il y en a donc de vrais ? La distinction, à laquelle prétendent beaucoup d'économistes, est aussi subtile que subjective. Tous les besoins matériels sont à la fois faux et vrais, artificiels et réels. Qui a besoin, ce qui s'appelle besoin de se laver ? Personne. Dira-t-on cependant qu'il s'agit d'un faux besoin ?
La faim exceptée, nous n'avons que deux besoins vitaux à satisfaire : être aimé et espérer. De tout le reste, on peut s'arranger.
Mardi, octobre 29, 2013
L’Express
société