Sans titre

FG réagit à la crise en cours au Proche Orient entre les pays arabes et Israël, en alertant à la suite de Konrad Lorenz sur le rôle des passions dans les actions humaines, alors que beaucoup agissent comme si seul l'intérêt motivait leurs actions.
Le cœur avare et les yeux secs, la France officielle assiste au drame du Proche-Orient comme une vieille dame qui répète avec la voix de précieuse de M. Jobert : « Je vous l'avais bien dit. » C'est assez insupportable.
Toutes les politiques peuvent être défendues et ce n'est pas en trépignant dès qu'Israël est en danger que l'on fera entendre, un jour, peut-être, le langage de la raison aux Arabes.
Mais sur le fond comme dans la forme, qui sont d'ailleurs inséparables, il semble que nous ayons adopté la plus vulgaire. En bref : le client a toujours raison. Quand M. Kazan n'est pas content de notre Premier ministre, celui-ci se fait moucher. Si le roi Fayçal, qui en a les moyens, nous commandait trois Concorde en sus des blindés qu'il vient de recevoir, il pourrait exiger que Brigitte Bardot lui soit livrée en prime.
Les chefs arabes, qui sont eux-mêmes des hommes fiers, ne doivent pas en concevoir beaucoup d'estime pour la France, même si leurs désirs du moment sont ainsi servis. Mais ce n'est qu'un aspect des choses.
Il n'est pas indifférent que cette semaine de sang, de mort et de passion ait été ponctuée par le prix Nobel attribué à Konrad Lorenz. Personne mieux que lui n'a dit ce qu'est l'instinct d'agression, sa nécessité, ses mécanismes. Personne n'a mieux montré comment l'enthousiasme militant, qui « s'apparente dangereusement au cérémonial de triomphe des oies », peut être utilement orienté mais plus aisément dévoyé. Comment la personnification du Mal conduit inéluctablement à la plus dangereuse des guerres : la guerre religieuse.
Quand les Arabes auront purgé dans le sacrifice de leurs blessés et de leurs morts l'humiliation qui leur fut infligée en 1967, quand ils se seront réconciliés avec leur propre image, seront-ils enfin en état de reconnaître le droit d'Israël à l'existence en tant que nation ?
Alors, l'hémorragie subie par le peuple juif, les poitrines trouées, les membres arrachés, les faces mutilées des jeunes combattants de ce vieux peuple recru de douleur, aura été son suprême holocauste.
Rien n'est moins sûr, rien. Mais il est sûr que si les maîtres de la politique, où qu'ils soient, n'intègrent pas dans leurs calculs glacés ce paramètre génial et fou qui s'appelle l'homme, s'ils continuent de se conduire comme si les êtres humains et les collectivités qu'ils composent n'étaient mus que par l'intérêt, nous allons vers de grands malheurs. Des malheurs à la mesure des armes modernes. Il est temps d'apprendre ce que nous enseigne Konrad Lorenz parmi d'autres : l'intérêt, c'est l'alibi que l'on donne à l'exercice de sa passion.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express