Sans titre

Ivème Conférence des non alignés à Alger. Portrait de Houari Boumediene qui recevait l'ensemble de ces personnalités. FG déplore que l'Europe n'ait pas su s'insérer dans cette conférence et donc proposer autre chose que l'image d'un ancien continent colon
Alger. Au premier degré, cela tenait du Festival de Cannes dans les grandes années et du Rotary-Club dans les grandes occasions.
Avec une satisfaction non déguisée, et que l'on peut comprendre, ô combien, l'Algérie, son chef, son gouvernement, ses représentants ont fait devant six mille personnes une impressionnante démonstration de management.
Noria des avions à réaction, livrant du chef d'Etat non aligné de quart d'heure en quart d'heure, sans que manque une mesure à un hymne national, hébergement de chacun dans un bungalow particulier et des 96 délégations, surabondantes parfois, dans les ensembles hôteliers ourlés par la mer, ballets motorisés de cortèges officiels, dispositif policier léger, gorilles discrets, on ne fait pas mieux dans ce que M. Boumediene a appelé le monde industriel. Formule ingénieuse qui situait le clivage là où il convenait à tous de le situer, et non entre les régimes, que l'on préfère ignorer, ou entre les pauvres et les riches. Car on sait que les riches n'étaient pas absents de cette IVe Conférence des nonalignés, puisque les princes du pétrole s'y trouvaient nombreux.
L'hôte, M. Boumediene, semble avoir été à peine émondé de sa rude écorce par huit ans de pouvoir. L'austérité, qu'il n'a ébréchée que pour se remettre à fumer le cigare après une longue abstinence, est sans aucun doute mieux à son gré que le faste, l'action le brûle davantage que le lyrisme verbal, sa réserve que l'on pourrait presque dire modeste paraît d'un homme à l'orgueil de fer et aux plus grandes ambitions pour son pays.
Cette conférence d'Alger était la sienne, qui l'allégeait, semble-t-il, de longs siècles d'humiliations. Le ton sur lequel, dans un bref aparté, il dit à M. Arafat qu'il entendait ne pas la voir gâchée par les prouesses palestiniennes qui se jouaient alors à Paris, n'était pas, assure-t-on, celui de l'amitié diplomatique. Mais rien ne put faire que le vol de l'avion du commando ne couvre d'heure en heure de son vacarme les voix des orateurs. L'événement n'était plus entièrement où Alger l'avait voulu.
Pourtant, l'absence d'Hassan II dans le clan des rois mise à part, le plateau tenait ses promesses. De Tito l'illustre, vigoureux octogénaire, à Kazafi l'impétueux, jeune premier dissipé aux manières d'adolescent doré, de Fidel Castro alourdi par les années, par les soucis, peut-être, mais qui conserve l'impact des grandes étoiles de la scène, à Mme Gandhi, royale comme à l'accoutumée, où avais-je donc vu une telle concentration de chefs d'Etat au mètre carré ? A des funérailles, celles de Kennedy. Celles de De Gaulle. Mais ils n'appartenaient pas au même club. Et le mort, cette fois, c'était l'Europe. Même pas l'ennemie. L'ennemie nommée, c'est l'Amérique. L'ennemie que l'on se garde de nommer, c'est l'U.R.S.S. L'Europe, à la conférence d'Alger, n'a pas existé, sinon comme une langue de terre qui lape le pétrole.
Se peut-il que cette Europe, la nôtre, après tout, qui n'a pas produit que des colonisateurs et des tortionnaires, n'ait plus rien d'autre à faire dans le monde qu'à consommer et à payer ? Il suffirait, comme toujours, d'avoir pour elle d'autres desseins. Et un peu de cette volonté qui creuse le visage dur de Houari Boumediene.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express