Sans titre

Sur le retour au pouvoir de Juan Peron (évoque la figure de feu éva peron)
Soixante-dix-sept ans, richissime, tranquille dans son exil espagnol, ayant épuisé, on pouvait le croire, les délices et les amertumes du pouvoir, voilà Juan Peron qui rempile, cependant. Tout jubilant.
Le sommet du plaisir serait-il, en matière de pouvoir, non pas de le conquérir, mais de le reconquérir quand on en fut évincé ? Peut-être bien.
A moins que l'ancien futur général-président de l'Argentine n'ait, essentiellement, talent et vocation d'imprésario. Car la vedette, dans l'affaire, c'est toujours, semble-t-il, sa femme.
L'ancienne, celle des jours de gloire, Eva Peron, superbe oratrice, était une fort belle personne, dans le genre qui n'est pas celui qu'on appelle le bon.
Vers 1950, il se joua, autour d'elle, à Paris, une scène savoureuse, lorsqu'elle vint s'y faire décorer de la Légion d'honneur par M. Georges Bidault, alors ministre des Affaires étrangères.
Pourquoi la Légion d'honneur, allez savoir, mais pourquoi pas.
Bref, celle qui gouvernait, en fait, l'Argentine, parut, épaules nues, dans tout l'éclat d'une beauté blonde épanouie, le buste gainé de noir par les soins de Christian Dior, qui pratiquait alors la mode du balconnet. Ce balconnet-là ne dissimulait que ce qu'il eût été délicat de dénuder davantage. Où piquer la croix de la Légion d'honneur ? Pas la moindre épaulette à laquelle s'accrocher. Meurtrir le sein de Mme Peron eût été peu diplomatique au moment où devait se signer quelque traité commercial. On vit alors le ministre, l'air profondément malheureux, glisser discrètement sa main gauche dans le balconnet pour s'assurer que l'épingle qu'il piquait de la main droite n'égratignerait pas la chair présidentielle. Eva Peron, visiblement, s'amusait.
Elle avait une présence assez extraordinaire, même à la fin, lorsqu'un cancer la ravageait, et que, dans sa résidence de Buenos Aires, elle ne pouvait plus supporter la vue d'une jeune femme bien portante.
Evita disparue, on sait qu'il disparut. Il reparaît, appareillé cette fois avec une Isabelita de 42 ans, même coiffure, mêmes bijoux, dont on ne sait s'il la pousse ou si elle le tire sur la scène politique où elle sera vice-présidente de la République.
Elle y montrera peut-être — qui sait ? — du talent. A moins qu'inéluctablement l'Histoire et ses personnages ne se jouent « la première fois comme une tragédie, la deuxième fois comme une farce ».

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express