Sans titre

Commente une émission télévisée sur le syndicalisme français et la situation d'ouvrier
Les forces de la joie, que M. Arthur Conte désirait mobiliser, n'étaient pas, mercredi, au rendez-vous de la vérité organisé par Michel Péricard autour d'un représentant des « cadres» français, M. Jean Menin.
La force des choses, en revanche, était présente, et même accablante.
Des quatre hommes apparaissant tour à tour sur l'écran, seul M. Menin — ingénieur de 39 ans chez Kléber-Colombes, syndicaliste militant de la C.g.c. — exprimait un certain bonheur d'être.
M. Menin est visiblement attaché à son métier, il a conscience d'avoir des responsabilités et trouve naturel d'être rémunéré en conséquence, il énonce avec simplicité le montant de son salaire — 4 500 Francs — il croit à l'efficacité de son action syndicale et à la possibilité de réformes permettant au personnel d'encadrement une véritable participation aux décisions. Bref, il apparaît comme un homme en dynamique. M. Menin ne se réveille sûrement pas, le matin, dans son pavillon de la grande banlieue parisienne, en se disant : « A quoi bon? »
Mais on n'oserait le dire des trois autres...
Ce fut d'abord un Ouvrier, amer. O.S. en bout de chaîne, 1 200 Francs par mois, militant C.f.d.t. Calme, s'exprimant bien, mais se déclarant d'emblée étranger à la discussion, s'insurgeant à l'idée que le Cadre est quatre fois mieux payé que lui, mais cherchant à le convaincre de la nécessité d'une alliance entre salariés contre les patrons... La minutieuse courtoisie mise par M. Menin à lui répondre glissait entre eux comme une lame.
Puis ce fut un Cadre en chômage, amer. Fusion, licenciement, course à l'emploi, où il a fini par être homme de ménage... Pendant que les généralités voltigeaient, il était là, cas particulier. Terriblement seul.
Enfin, un Patron, amer. L'un des 117 000 dirigeants d'entreprises occupant moins de cent personnes. Il n'y en a que 481 en France qui emploient plus de cent personnes. Il a posé la bonne question au Cadre : « Si vous aviez, quelque argent, est-ce que vous essaieriez aujourd'hui de créer votre propre affaire ? » Le Cadre, honnête, a répondu : « Non. »
Il semble bien que nous ayons vu et entendu, mercredi, quelque chose qui méritait de s'appeler la vérité. Ce ne pouvait pas, évidemment, être un spectacle gai.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express