Saint-Ex, mon ange gardien

On en fait aujourd'hui un mythe. Je n'ai connu qu'un homme infiniment aimable...
Que reste-t-il d'un corps immergé depuis un demi-siècle? Ces recherches me révulsent comme un viol de sépulture. Paix à Saint-Exupéry, s'il vous plaît. Il eût aimé qu'un mystère éternel entourât les conditions de ce jour d'été où, pour la dernière fois, il a «cassé du bois». Ce n'était pas, il s'en faut, une première? Combien d'accidents n'a-t-il pas eus? Le jour où il m'a donné le baptême de l'air, dans un petit Caudron rouge dont il raffolait, nous avons atterri en catastrophe du côté d'Annemasse. Il était vexé! J'étais alors une très jeune fille dont il s'était fait l'ange gardien. Avec son nez court, ses yeux écartés, sa tête plate, il ressemblait à un ours en peluche. Crucifié par les infidélités de sa femme, l'exotique Consuelo, qu'il ne pouvait s'empêcher d'aimer, il me disait : «Ne t'entiche jamais d'un homme, petite, l'amour c'est l'enfer.» Déjà célèbre, toujours fauché, il disait aussi : «Je voudrais appartenir aux deux cents familles le temps de me refaire une garde-robe.» Les deux cents familles ? les grandes fortunes recensées du moment ? ce n'était pas son genre. Antoine de Saint-Exupéry ignorait les valeurs bourgeoises. Il vivait selon un système de valeurs aristocratiques qui privilégiait l'honneur. C'était un homme d'autrefois, mal à l'aise dans une époque trop matérialiste à son gré. Il n'était pas un philosophe, quoiqu'il en ait eu parfois la prétention, mais un poète. Sur la nappe en papier du restaurant où nous dînions, il composait des vers libres : «Quand la lune d'un coup d'épaule envoie deux cent mille vagues vers le Chili?» Il chantait «Aux marches du palais», s'amusait à des tours de cartes vertigineux. On en a fait tantôt un niais, tantôt un héros, tantôt un pétainiste émigrant en Amérique au lieu de rejoindre de Gaulle. Son engagement fut, il est vrai, tardif. Et meurtrier. Il était trop vieux pour voler. Aujourd'hui, on en fait un mythe. Je n'ai connu qu'un homme, infiniment aimable, dernier surgeon d'une France révolue. Un livre à lire? C'est l'histoire d'un jeune boursier follement ambitieux, nanti d'une mère encombrante, qui parvient à occuper les plus hautes fonctions. Et puis sa vie bascule dans la passion? C'est Augustin, saint Augustin dont la Pléiade publie les «Confessions». Ne serait-ce que pour la présentation qu'en fait Lucien Jerphagnon, cette édition mérite d'être consultée. Quant au texte, comme celui-ci l'a dit drôlement chez Pivot, «ce n'est pas du Deviers-Joncour» mais il est sublime dans son genre. Jean-Paul II est la dernière grande figure politique du siècle. C'est son action directe sur l'implosion du bloc communiste qu'«Envoyé spécial» a reconstituée, depuis le célèbre «N'ayez pas peur» lancé aux Polonais jusqu'à sa déception devant le «capitalisme sauvage» surgi en Russie. Il y avait une fois deux hommes, le pape et Gorbatchev, qui avaient rêvé ensemble d'autre chose. Ils s'entendaient bien. Mais Gorbatchev crut qu'il pouvait réformer le système communiste sans changer de système. Il fut éjecté. C'est l'histoire de huit années de diplomatie subtile, pendant lesquelles les maîtres du Kremlin tentèrent de faire assassiner Jean-Paul II, qui nous fut contée. Ce rôle du pape? On se serait cru au XVIIe siècle. Ce fut intéressant et mieux encore. Dans les jardins du Vatican, une pierre est plantée : un fragment du mur de Berlin. Après deux numéros médiocres, «Strip-tease» s'est racheté en plantant sa caméra dans une classe métissée où une conseillère d'éducation invite les élèves à assister à la commémoration du 8 mai 1945. Elle veut des Noirs, des Maghrébins et, sa langue fourche? des Français. Enfin, quoi, des Blancs. Non, disent les élèves, on n'ira pas. Et ils disent pourquoi. Une petite scène candide et cruelle. Cruel aussi l'achat d'un tailleur jaune par une cliente tapée dans une maison de couture de Lyon. Savoureux (FR3). Débat hystérique au Parlement autour du Pacs. La droite a trouvé son héroïne, Christine Boutin, boutant les homosexuels hors de la conscience nationale. Cela ne doit pas dissimuler qu'une élue du RPR, Roselyne Bachelot, acourageusement défendu le projet. L'une a disposé de cinq heures de tribune, la seconde de cinq minutes. F. G.

Jeudi, novembre 12, 1998
Le Nouvel Observateur