Salue la réaction de Brigitte Bardot, qui menacé par l'OAS, a su gardé son sang froid, et ne pas céder. Et contribue ainsi à la dénonciation de l'OAS.
Stupeur, branle-bas, tohu-bohu et brouhaha : une jeune femme de 26 ans s'est conduite, la semaine dernière, en France, avec un ferme bon sens.
Une organisation anonyme de scélérats spécialisés dans l'assassinat la menaçait de faire « entrer en action ses sections spéciales », au cas où elle refuserait de la subventionner à concurrence de cinq millions de francs.
Elle a dit : « Je ne marche pas. »
Comme elle jouit d'une certaine notoriété sous le nom de Brigitte Bardot, sa réaction — une fois rendue publique par « L'Express » — a eu quelque écho.
En fait, le monde entier en a retenti dans l'heure.
Le bruit, c'était dans l'ordre des choses. C'est l'origine du bruit, sa nature et ses effets, qui méritent attention.
Nous mentirions en disant qu'au coins de ces derniers mois Brigitte Bardot a été au centre, ou même à la périphérie de nos préoccupations. Pas plus que « L'Express » n'est, d'ailleurs, au centre des siennes.
La Chambre des notaires
Lorsqu'elle nous fait savoir qu'elle a « quelque chose à dire », nous n'avons pas le sentiment qu'il est urgent de bondir chez elle.
Elle patiente, sans parler à personne de la petite bombe qu'elle promène dans son sac à main.
« Pourquoi ne m'en avez-vous rien dit ? » lui demanderont ensuite le directeur d'un grand quotidien parisien et un ministre.
Elle répondra de cette façon à la fois enfantine et abrupte qui lui est propre :
« Mais parce qu'il s'agissait de choses sérieuses ! »
Mlle n'a pas peur, elle n'est pas tellement tranquille non plus. Mais elle ne dit rien.
Dans le même temps, la Chambre des notaires délibère pour décider si ses membres céderont, eux, à la menace. La résolution finale n'a pas été rendue publique. Au fait, pourquoi ?
Quand le rédacteur en chef de « L'Express » prend contact avec Brigitte Bardot, la jeune femme lui indique simplement qu'elle souhaite lui remettre une lettre de l'O.A.S. reçue le 13 novembre.
Le jeu démocratique
Elle précise : « Je ne marche pas... D'ailleurs, je vous l'écris. Vous en ferez ce que vous voudrez. La politique, c'est compliqué, je n'y comprends pas grand-chose. Mais ces gens-là sont dégoûtants. Et vous, en tout cas, je suis sûre que vous luttez contre eux. Alors, si vous croyez que pour une fois ça peut servir à quelque chose que je sois célèbre... Moi, je ne veux pas vivre en pays nazi, vous comprenez ? »
El puis elle retourne a ses occupations tandis que, pour la bonne règle, ses avocats saisissent la justice.
Avec une intuitive sagesse dont on déplore qu'elle visite rarement ceux qui sont censés réfléchir; Brigitte Bardot vient de confier sa sécurité, sa liberté, son droit de vivre en France, indépendante de toute l'action terroriste, à la seule force qui puisse les préserver : l'opinion publique. Elle vient de jouer, spontanément, le jeu démocratique.
Papier, caractères typographiques, rédaction, cachet de là poste garantissant l'origine du chantage, « L'Express » décide de porter l'information à la connaissance de ses lecteurs, sans commentaire.
L'éditorial du « Times »
Voilà pour l'origine du bruit.
Sa nature ? Le lendemain, le « Times » de Londres, qui a accordé trois lignes à la naissance du dernier prince d'Angleterre, consacre à l'affaire Bardot un éditorial politique. Il est suivi dimanche par l'« Observer ».
« Le Figaro » notant qu'elle a dent et du cran », souhaite Samedi, « Libération » cite son geste comme un exemple de dignité donné à ceux qui allaient en manquer »
« Le Monde » considère qu'elle a opportunément employé la « thérapeutique du courage ».
A Alger, où les cafetiers boycottent la chanson qui porte son nom, les garçons du contingent l'acclament. À Paris, le syndicat des acteurs lui vote des félicitations. Lundi, à Dunkerque, deux mille dockers crient « Vive Brigitte ! » au cours d'une réunion syndicale.
Tous les matins, elle trouve désormais dans son courrier, au lieu du lot habituel de déclarations d'amour et de demandes d'autographes, des lettres comme elle n'en a jamais reçu. Universitaires, hommes politiques, directeurs et rédacteurs de journaux, chefs d'entreprise, simples citoyens, surtout, qui ne lui demandent rien, qui l'assurent de leur respect, de leur estime, qui l'appellent « Madame », qui la remercient, qui lui offrent de se relayer devant sa porte pour lui assurer protection.
L'enfant d'Andersen
Que s'est-il passé ?
Un phénomène très simple.
Comme l'enfant du conte d'Andersen, Brigitte Bardot a dit tout haut : « Le roi est nu ». Et, parce qu'elle a de la voix, la rumeur s'en est soudain répandue.
Quoi ? Comment ? Nu, le roi ? Eh oui ! nu. Elle l'a vu, elle l'a dit : nazis, les O.A.S. ? Eh oui, nazis.
Stupides autant que lâches, ceux qui alimentent les caisses de ces souteneurs qui ont mis l'Armée sur le trottoir pour que, en la prostituant, elle rapporte ? Eh oui ! stupides autant que lâches.
L'O.A.S. en Algérie s'abreuve en fonds et en haine à une source permanente : la peur de la minorité française.
Que celle-ci, meurtrie, ballottée trompée, angoissée, puisse attendre d'un gouvernement ou d'un homme quel qu'il soit le coup de baguette magique qui la réhabilitera dans son insouciance et ses privilèges, c'est aberrant. On peut comprendre cependant ceux qui s'enferrent à l'hameçon de cet espoir, aussi vain soit-il.
Mais l'O.A.S., en France, qu'est que c'est ?
L'expression habilement exploitée d'une angoisse ? Un parti quêtant des adhésions ? Non. C'est une espèce de furonculose venue d'outre-mer, vaguement écœurante, bourgeonnant d'abord sur les organismes faibles, trahissant les sangs pauvres, et puis s'étalant en plaques.
Confrontée aux méthodes d'intimidation physique en vogue chez les porteurs de bacilles, une jeune femme a remis placidement les choses à leur place.
L'autodétermination, l'intégration, la partition, la négociation, ça, elle ne sait pas. Elle n'est ni pour ni contre.
« Tu payes ou on te casse la gueule, tu es avec nous ou bien on te descend...», ça elle sait. Elle est contre. Qui est pour ?
La courte échelle
Ainsi posé, le problème est d'une simplicité redoutable. Mais il fallait que quelqu'un soit en situation de le réduire à ses termes authentiques, il fallait qu'en ridiculisant les poltrons, un geste spectaculaire dilue la glu de la peur et le confort de l'aveuglement.
Par chance, l'O.A.S. s'est attaquée à la personne qui pouvait le mieux accomplir ce geste, à un gracieux symbole de plaisir et d'insouciance.
Au « moi, je ne fais pas de politique», de tous ceux qui croyaient ainsi, candidement, ou prudemment, se mettre à l'abri des complications, l'affaire Bardot est une réponse que chacun peut comprendre.
La fascisme est toujours affaire de vie ou de mort. Il est toujours contraint de menacer dans leur sécurité, dans leurs biens, dans leur liberté, ceux « qui ne font pas de politique ». Parce qu'ils sont les plus nombreux, parce qu'ils sont les plus mal armés, parce qu'ils sont inorganisés, ce sont ceux qui, de leur argent, de leur silence, de leur naïveté (« moi, j'ai payé pour avoir la paix »), ont fait de tous temps la courte échelle aux régimes de terreur.
De bonnes nouvelles
En refusant d'y prêter la main, Brigitte Bardot a rendu un grand service à ses compatriotes, en même temps qu'elle devenait, en quelques jours, symbole de santé dans un pays menacé par une maladie infecte : la peur.
On peut donc dire non ? Eh oui !
Et la santé, cela est contagieux.
Voilà les maires de Vaucluse, sommés de démissionner, qui se fâchent. Voilà le secrétaire d'Etat à l'Information, M. de La Malène, qui annonce : « Nous ne laisserons pas venir le temps des assassins. » Voilà le ministre de l'Intérieur, M. Frey, qui s'insurge, par communiqué, contre « le mensonge, la calomnie, l'intimidation, le chantage, la menace, la destruction des biens matériels publics et privés, l'attentat contre les personnes physiques, et l'aide morale publiquement exprimée à cette organisation subversive dite O.A.S. ».
Eh bien ! mais voilà, en somme, de bonnes nouvelles !