Quelle belle histoire!

Le Championnat d'Europe à l'arraché: cette fermeté dans l'orgueil est nouvelle chez les Français, plus réputés dans les départs que dans les arrivées
Le tout est d'avoir l'énergie de consulter des programmes de plus en plus touffus, et de changer de chaîne aussi souvent qu'il est nécessaire pour se trouver sur la bonne au bon moment. Ainsi pouvait-on, cette semaine, se composer un menu excellent et varié. Morceau de roi évidemment : la finale du Championnat d'Europe des Nations, spectacle somptueux dans une dramaturgie inédite. Quand deux équipes de valeur égale se rencontrent ? ce qui était le cas, les Italiens sont superbes ?, c'est le caractère qui fait la différence. La victoire va à ceux qui n'envisagent jamais, jamais, qu'ils pourraient perdre. Cette fermeté dans l'orgueil est nouvelle chez les Français, plus réputés dans les départs foudroyants que dans les arrivées triomphales. Cette fois, à la minute ultime, quand tout était perdu, ils ont marqué. Parce que dans leur tête ils n'avaient pas cédé. Quelle histoire, quelle belle histoire! Vu, sur Odyssée, Fidel Castro tel qu'il apparaît rétrospectivement à ceux qui l'ont tant servi avant d'être jetés aux chiens, et tant aimé, comme Carlo Franqui, par exemple. Homme exceptionnellement doué, dénué de toute idéologie, chef-né et se tenant pour tel, auquel il a manqué un terrain à la taille de son ambition. Cuba, c'était trop petit pour lui, l'Amérique latine s'est dérobée, l'incursion en Afrique n'a rapporté que des milliers de morts. Et après le fameux bras de fer entre Kennedy et Khrouchtchev au sujet des missiles installés à Cuba, les Soviétiques lui ont coupé les vivres. Au-delà du régime lui-même, qui a toujours été pur despotisme, c'est donc l'échec personnel de celui qui se voyait à la tête du tiers-monde que le film illustrait. Aujourd'hui, les gens de la campagne vivent moins mal que du temps où Castro et ses «M26» chassèrent Battista. Mais Cuba est redevenu un paradis pour touristes, le dollar y est la monnaie, la prostitution y prospère. On ne peut pas être indifférent à ce pan de l'histoire contemporaine. Le dialogue Régis Debray-Michel Rocard sur la Chaîne parlementaire n'avait qu'un objet : les médias. L'écrivain et le politique y ont beaucoup réfléchi l'un et l'autre. Conclusion d'un mot : la situation est catastrophique. La substitution de l'image à l'écrit, la pression harcelante de l'enivrement médiatique, la transformation du corps des journalistes en clergé, la prolifération des sondages, on ne peut plus gouverner, affirme Michel Rocard. Et on ne peut plus négocier, toute négociation supposant le secret. Que peut-on tenir secret aujourd'hui? Intrinsèquement pervers, les médias, car ils bénéficient de l'aura du contre-pouvoir, et que dès que l'on prétend y toucher on est suspect d'attenter aux libertés. Alors que faire? «Un pacte de comportement civique réciproque», suggère Rocard, doux rêveur. Il est probable qu'on va plutôt vers le remplacement des grandes entités pyramidales d'information par les réseaux. Pour le meilleur ou pour le pire. En attendant, la couverture de la journée Bové par les grandes chaînes a été une illustration des manières de la télévision : folklore, télétrottoirs au plus bas étage, informations nulles sur ce que Bové a dit à son auditoire, du cirque. Luis Miguel Dominguin a été l'un des plus célèbres toreros du monde. On sait qu'il y a dans le spectacle de cet art quelque chose qui met en transe, quand on aime l'arène, son cérémonial, son odeur et celle de la mort. Ava Gardner en raffole. La voir, si belle, dans le document de Canal+, regarder Dominguin, c'est un bonheur. Elle est amoureuse. Elle lâche Sinatra pour lui. Avant elle, ce fut Rita Hayworth. Après ce sera Lucia Bosé, l'adorable Italienne qu'il épousera. Tiens, voilà Orson Welles, et Che Guevara! Que font-ils là? Et Hemingway? Et Picasso? J'ai l'impression d'écrire une rubrique «people». C'est que tout ce documentaire sur Dominguin est truffé d'images où l'on croise des gens que l'on a déjà vus quelque part. C'est aussi un beau film sur l'homme seul face au taureau, dans l'insurpassable perfection de sa technique. Composant avec Franco, haï parfois par le public parce qu'il est arrogant, idole mal aimée de l'Espagne, Dominguin, à son zénith, a persévéré encore, encore et encore pour rester le premier devant Ordonez. Quand il a abandonné en 1960, il avait le ventre déchiré. F. G.

Jeudi, juillet 6, 2000
Le Nouvel Observateur