Quel gâchis !

« Vanina Vanini » de Rossellini, adaptation d'une nouvelle de Stendhal
Rossellini + Stendhal = un berlingot poussiéreux.

« Vanina Vanini », de Roberto Rossellini, avec Sandra Milo et Laurent Terzieff.

QUEL gâchis ! Mais quel gâchis ! Si « Vanina Vanini » était un film entre cent autres qui vident implacablement les salles obscures, ou qui relèvent de la fabrication industrielle, on pourrait l'ignorer. Mais que la conjonction Rossellini-Stendhal-Ergas (jeune producteur ambitieux et fin) aboutisse à ce berlingot poussiéreux, cela mérite d'être examiné.
Le résultat de la meilleure combinaison cinématographique est toujours incertain. Sinon, la flèche tomberait toujours dans le mille et le jeu n'intéresserait plus personne, à l'exception des caissiers. Ici, on pouvait craindre que le trait de Rossellini ne fût un peu gras, un peu lâche pour traduire et cerner Stendhal.
Mais « Vanina Vanini » n'est pas une œuvre majeure. Vingt-cinq pages, et non des meilleures, parmi « Les Chroniques Italiennes », l'un de ces courts récits où éclate par endroits le génie de l'auteur, mais qui n'en sont pas le produit abouti.
Mais une nouvelle est toujours un meilleur support de film qu'un roman, trop dense pour la distance cinématographique. Et celle-là est riche de ces ellipses si propices à l'écran. « Un soir, elle lui dit qu'elle l'aimait. Bientôt, elle n'eut plus rien à lui refuser ».
Mais l'intrigue, située vers 1820, à l'époque où de petits groupes clandestins, les Carbonari, conspiraient contre le pouvoir au nom de la liberté « pour délivrer l'Italie des barbares », l'intrigue est en or et les personnages aussi.

Le général Bonaparte

Vanina, princesse Vanini, c'est déjà l'esquisse de Mathilde de La Môle. « Un orgueil singulier éclatait dans chacun de ses mouvements... Nulle pitié dans ces yeux si beaux, mais seulement l'expression d'un caractère altier que l'on vient de blesser... »
Celui dont elle s'éprend, Pietro, est un beau Carbonaro de vingt ans, plébéien, évadé du château Saint-Ange où il a été incarcéré. Il est blessé, il se cache.
Leur conflit tient en trois phrases : « Vanina ne doutait pas que le plus grand bonheur de Pietro ne fût de lui rester à jamais attaché... Mais un mot du général Bonaparte retentissait amèrement dans l'âme de ce jeune homme... En 1796, comme le général Bonaparte quittait Brescia, les municipaux qui l'accompagnaient à la porte de la ville lui disaient que les Bressans aimaient la liberté pardessus tous les autres Italiens.
— Oui, répondit-il, ils aiment à en parler à leurs maîtresses. »
Pour arracher Pietro à cette éternelle rivale des amoureuses, l'ambition dans l'action, Vanina livre l'état- major des Carbonari à la police, une nuit qu'elle a retenu son amant auprès d'elle. Pietro se constitue prisonnier et refuse la grâce que la princesse Vanini obtient pour lui. Alors, ivre de fureur et d'orgueil meurtri, Vanina lui jette à la figure l'aveu de sa trahison. Puis : « Elle revint à Rome ; et le journal annonce qu'elle vient d'épouser le prince don Livio Savelli. » Ainsi se termine la nouvelle, dans la meilleure tradition stendhalienne. Dans le film, elle s'en va gémir au couvent.
Ce n'est pas le caractère sacrilège de l'adaptation cinématographique qui consterne. Stendhal ne s'en portera pas plus mal. C'est son inintelligence. Et comme Rossellini est l'intelligence en personne, c'est pire : le travail d'un homme las, ennuyé, qui avait peut-être de gros impôts à
payer ou un contrat à honorer, mais de l'enthousiasme, certes pas.
Stendhal n'était pas son homme, l'Italie de Stendhal n'était pas la sienne. Un habile et quelconque artisan s'en fût sans doute mieux tiré que ce grand bonhomme qui, parce qu'il est grand dans son art, ne sait faire que du Rossellini.

Les pieds au chaud

Pour prendre une chance de réussir, il fallait avoir l'énergie de transposer l'intrigue en 1943, entre fonctionnaires du régime et partisans, il fallait ajuster le personnage de Vanina aux dimensions de l'interprète, Sandra Milo, qui est à une altière fille de l'aristocratie romaine ce que Martine Carol est à la princesse de Clèves. Ou il fallait tout envoyer au diable, plutôt que de nous conter, et en couleurs, s'il vous plaît, les malheurs de cette petite bourgeoise autoritaire et grassouillette qui veut garder son Jules à la maison, les pieds au chaud et la bague au doigt.
Ajoutez que le film est doublé. Que dis-je ! même pas ! Doublé mi-corps, puisque selon la joyeuse tradition des coproductions franco-italiennes, il n'existe aucune bande sonore où les interprètes s'expriment tous dans la même langue. Ce n'est pas du dialogue. C'est du contre-plaqué.
N'en parlons jplus. Tout cela n'a aucun rapport ni avec Stendhal, ni avec Rossellini, ni avec le cinéma.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express