Quand les boulangers dansent la capucine…

Vente de pains sans tickets par les boulangers d'Indre-et-Loire
Quand les boulangers dansent la capucine...

par Françoise GIROUdD

SI les boulangères d'Indre- etLoire avaient lu La Fontaine, elles sauraient que « Pain qu'on dérobe et qu'on mange en cachette vaut mieux que pain qu'on cuit et qu'on achète ».
Malheureusement, elles s'intéressent plutôt à la poésie des statistiques dont la lecture leur a inspiré un tout autre point de vue.
Ne vous y trompez pas : ce sont les boulangères qui ont brandi l'étendard de la révolte et le candide boulanger ne l'a pas dissimulé qui a avoué:
— Ma femme en avait marre , de coller des tickets...-
Or il y a environ quarante mille boulangères en France qui font au moins une fois par jour une scène à leur mari. Comment vouliez vous que ça finisse ? Comme ça a commencé: les sept cents boulangers d'Indre -etLoire où les femmes ont peutêtre la scène plus facile qu'ailleurs, ont décidé le vendredi 27 août de vendre leur pain sans tickets.
Que fit le gouvernement? On l'ignore, étant donné qu'il n'y en avait pas. Il était à la pêche, à la pêche aux socialistes.
Toutefois, M. Coudé du Foreto expédiait, selon la formule les affaires courantes. Celle-là courait diablement vite.
Les dix mille boulangers de dix-neuf départements entraient dans la danse. C'était la capucine.
- Y a plus de pain chez nous, y en a chez la voisine et il sera pour vous.
-Stop ! cria M. Coudé du Foresto comme il est de coutume dans les télégrammes. Mais d'habitude, stop est une ponctuation. Là, c'était à la fois une supplication et l'essentiel du texte transmis d'urgence aux préfets affolés.
Alors en de belles lettres officielles écrites ''au nom de M. le secrétaire d'Etat aux Finances'' (lettres anonymes en quelque sorte) les préfets informèrent les gais boulangers que ''tous les chiffres statistiques qui leur avaient été communiqués étaient faux'' (sic).
-Vraiment! répliquèrent le boulangers. Eh bien! nous nous ferons un plaisir de vous en communiquer de vrais. Quand nos clients ont épuisé leur carte de pain, ils en achètent une fausse pour 100 francs. Vous n'étiez peutêtre pas au courant? Voilà, pour un ministre l'inconvénient d'avoir une cuisinière et des statistiques officielles au lieu d'aller faire son marché lui-même. En outre, nous vous faisons respectueusement remarquer que la consommation du pain libre n'a pas été supérieure à celle du pain contrôlé. Et pour cause! Les Français consommaient 370 grammes par jour avant guerre. Vous leur en accordez 300... Ajoutez les fausses cartes et les restaurants qui ont depuis longtemps le bon goût de ne plus demander de tickets et vous avez votre compte.
— Allons! allons! protesta l'absence de gouvernement, votre plaisanterie est excellente, meilleure que votre pain d'ailleurs. Mais nous n'avons guère le goût à rire en ce moment.
— Il y a pourtant de quoi, affirment les boulangers. Voulez-vous aussi noter un détail ? Nous n' accepterons plus désormais que de la farine blutée au taux d'avant guerre.
(Si vous savez ce que ça veut dire, sautez cette parenthèse. Sinon apprenez que dans la farine du pain blanc d'autrefois qui passa de 1 franc à 1 fr. 10 le 30 novembre 1922, on enlevait 25 kilos de son sur 100 kilos de farine brute. Dans la farine de pain gris d'aujourd'hui - ou plutôt de demain puisque la crise ministérielle a retardé l'application des nouveaux taux - on enlèvera 15 kilos de son sur 100 kilos de farine brute. C'est ce qu'on appelle , selon les milieux, une ''amélioration sensible'' ou une ''farine à vous faire passer le goût du pain''.)
Au moment où j'écris, je ne connais pas encore le résultat de l' Assemblée générale tenue par les boulangers et leur décisions. Mais il y a au moins un résultat connu : c'est qu'on peut aujourd'hui se moquer de son gouvernement et avec l'assentiment de tous les Français pardesus le marché.
Peutêtre ceux qui sont de tout coeur et de tout pain avec les boulangers rebelles ne mesurentils pas la gravité d'une telle situation. Celle d'un professeur auquel ses élèves commencent par envoyer des gommes à la figure, puis des encriers, puis des déclarations : '' Le professeur est cocu'', ou bien '' Le professeur a la gueule en biais''. Ils s'amusent comme des petits fous jusqu'au jour où on le renvoie, le professeur. Alors ils jubilent et ils en profitent pour tout casser.
Alors ils regrettent le premier...
Mais dans ces histoires -là, n'est-ce pas toujours le professeur qui est coupable ?

Mardi, octobre 29, 2013
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