Quand la télé était à prendre

Ah, si les intellectuels s'étaient jetés sur elle au lieu de la mépriser!
Qu'est-il arrivé aux journalistes politiques et économiques des télévisions le jour où le contenu de la réforme fiscale a été rendu public? On a eu l'impression qu'ils avaient lu les quotidiens du matin, presque tous défavorables à la réforme évidemment, puisqu'ils appartiennent à des forces économiques adversaires du gouvernement, et qu'ils en avaient fait leur bréviaire sans réfléchir plus avant. En tout cas leur argumentaire. Pourtant, une réforme fiscale, fichtre, ce n'est pas banal dans ce pays. Réforme qui va changer la société? Non, assurément. Réforme redistributrice des revenus du pays, oui, même si elle est timide. N'en ont-ils donc rien vu, même ce que le baron Seillière a qualifié de «saupoudrage qui fait plaisir aux gens, tant mieux pour les Français, tant pis pour les entreprises?»? On n'a entendu que commentaires désappointés, critiques moroses. Parmi les défauts du nouvel édifice, auquel on peut évidemment en trouver, j'ai recueilli cette perle : «La réforme fiscale est injuste. La suppression de la vignette ne rapporte rien à ceux qui n'ont pas de voiture.» Je ne dirai pas sur quelles lèvres généralement mieux inspirées elle a fleuri. Qui a regardé Florence Parly aura apprécié le calme de la secrétaire d'Etat au Budget soumise à l'interrogatoire d'une jeune femme qui récitait quasiment «le Figaro», «les Echos», «la Tribune». Florence Parly a fini par mordre. Bref, l'opposition et ses relais volontaires ou involontaires à la télévision se sont payé une crise de mauvaise foi. Pendant cet exercice de zapping, il se peut que d'excellents commentateurs non contaminés m'aient échappé. Que ceux-là me pardonnent, on ne peut pas avoir l'?il partout. Du côté de la Corse, le chevau-léger de Jean-Pierre Chevènement, Max Gallo, a repris du service, avec sa grosse voix et sa profonde gentillesse naturelle. Ce n'est pas quelqu'un de mal, Max Gallo, loin de là, même s'il vous hérisse parfois les oreilles. Affronté au juriste socialiste Guy Carcassonne, il a été battu aux points. Mais nous n'en avons pas fini avec les débats sur cette histoire-là. Voilà que Michèle Alliot-Marie a lancé une pétition. Comme elle est agitée, cette dame! On verra bien si Chevènement la signe. Je n'en crois rien. Chevènement a de l'honneur. Le papier de Jacques Drillon sur Proust dans «TéléObs», la semaine dernière, était une introduction idéale à la soirée thématique d'Arte : un documentaire célèbre, vieux de quarante ans, réalisé par Roger Stéphane, d'où se lèvent comme des fantômes Paul Morand, François Mauriac, Cocteau, Berl, Mme André Maurois qui chuchote : «Il se trouve que je suis Mademoiselle de Saint-Loup», précédé d'un film sur Céleste, la servante. Il n'est jamais trop tard pour découvrir Proust, à condition de s'autoriser l'irrespect nécessaire, de sauter quand on s'ennuie. Le moment viendra où, envoûté, on reprendra le tout. Stéphane a été l'un des rares pour ne pas dire l'unique intellectuel en son temps à pressentir l'essor de la télévision, le rôle qu'elle pouvait jouer dans ce qu'on appelle d'un mot la culture. Si au lieu d'un Stéphane il y en avait eu dix pour se jeter sur elle au lieu de la mépriser, de la repousser, de se draper dans leur supériorité d'élite face au vulgaire, s'ils s'étaient emparés de la télévision qui était à prendre, tout son développement en aurait été orienté. Leur aveuglement restera au débit d'une génération d'écrivains qui, ensuite, a fait la queue pour passer à la télé. Y a-t-il encore des idolâtres de Diana? Probablement, même si la ferveur s'est essoufflée. A Paris, pont de l'Alma, le lieu mémorisant l'accident voit toujours affluer les fleurs. Qui honore-t-on au juste? Une rebelle que la famille royale de Grande-Bretagne a essayé en vain d'instrumentaliser et qui est devenue la femme la plus célèbre du monde. La BBC a réalisé, avec l'habituelle maîtrise britannique dans ce genre de travail, un document plein de tendresse et de finesse. Ceux qui ont aimé Diana l'y auront revue avec émotion sous tous ses angles, sous tous ses chapeaux, sous tous ses sourires, dans toutes ses poses de plus en plus élaborées. Ce que le film illustre bien, c'est son évolution, d'abord son inhibition puis, au fur et à mesure du bras de fer avec la reine, l'assurance qu'elle prend dans la façon de s'habiller/déshabiller, sa science infuse de la communication, la construction de son image, son pathétique besoin de séduire, sa demande d'amour jamais comblée, sa compassion réelle, active, qui illumine sa beauté. Quand un accident de la circulation abrège ses jours, elle est devenue immensément populaire. On comprend pourquoi. Mais la mort a sanctifié cette belle créature sans que l'énigme soit levée sur l'écho universel du deuil que certains portent encore de Lady Di. F. G.

Jeudi, septembre 7, 2000
Le Nouvel Observateur