- Quand j'étais petit, j'aimais Jules Verne - Pourquoi ne pas le relire ?

Conseils de lecture à un jeune homme qui déplore d'être privé de ses distractions habituelles.
Pourquoi affichez-vous, Pierre, une mauvaise humeur si constante ?
— Je m'ennuie. J'ai appris à vivre en une époque où je pouvais, chaque samedi, prendre ma voiture et partir pour la campagne, où j'allais trois fois par semaine au cinéma ou au théâtre. Un bridge chez des amis comblait une quatrième soirée, je faisais deux ou trois voyages et une croisière par an.
— Pascal disait : « Tout le malheur des hommes leur vient de ne pouvoir rester au repos dans une chambre »
— C'est vrai. Mais j'avoue que, privé de mes habituelles distractions, je m'ennuie. Connaissez-vous un remède ?
— Oui. Faites une cure, une cure dans votre bibliothèque, une cure thérapeutique de l'esprit, semblable à celle que vous eussiez faite pour le bien de votre corps. Lisez.
— J'y ai songé. Mais lire... quoi ?
— Pour commencer, chaque jour, au réveil, une fable de La Fontaine.
— La Fontaine... Un corbeau sur un arbre perché... Je ne suis plus un écolier.
— On vous a, comme tout le monde, dégoûté de La Fontaine pour avoir transformé ses fables en exercice mnémotechnique. Relisez-lés. Vous désintoxiquerez votre imagination, vous libérerez votre esprit de tout faux sentimentalisme. Vous attendrez de chacun ce qu'il peut vous donner, sans plus. Vous verrez les hommes tels qu'ils sont, tels qu'ils ont toujours été, sans haine, avec humour.
— Quand j'étais petit, j'aimais Jules Verne.
— Pourquoi ne pas le relire ? Pour remplacer votre croisière annuelle, je vous propose également Télémaque. Sous les grâces aimables du style de Fénelon, vous trouverez l'aventure, l'évasion du voyage.
— Et je ferai, tel le duc de Bourgogne, mon éducation. Que me conseillez-vous encore ?
— L'histoire. Relisez Fustel de Coulanges, la « Cité antique ».
— Son austérité m'effraie un peu. A un historien scientifique, je préférerais un auteur purement scientifique.
— Lisez alors l'« Introduction à ia médecine expérimentale », de Claude Berrard, ou la « Vie de Pasteur », de Vallery Radot.
— Un poète ?
— Lamartine. Il vous rendra les illusions que La Fontaine vous enlèvera. Lamartine a ignoré les laideurs de la vie. Il est le poète de la mélancolie, mais non celui de l'amertume. « J'eusse été... mais je suis ce que je devais être... » dit Jocelyn.
— Un romancier ?
— Le meilleur. Mme de Lafayette. Relisez la « Princesse de Clèves ».
— Un moraliste ?
— La Bruyère. « Il n'y a rien qui rafraîchisse le sang comme d'avoir su éviter de faire une sottise, » Voici sur quoi méditer, il me semble.
— Enfin relisez Maupassant. Il vous divertira mieux que nul autre. Savez vous que l'un des films les plus appréciés de l'année est tiré d'une œuvre de Maupassant, que la meilleure littérature américaine moderne se réclame de son influence ?
— Votre programme est séduisant, mais sévère. Que lirai-je lorsque j'aurai envie de rire un peu ?
— Courteline. Vous pourrez, en souriant, tirer profit de ses conseils. « Il vaut mieux gâcher sa jeunesse que de n'en rien faire du tout. »
— Et il vaut mieux lire que de se lamenter sur les malheurs des temps.
— Surtout si vous songez que le premier écrit du monde est une tablette mésopotamienne sur laquelle on lisait :
— Tout va plus mal qu'autrefois.

Mardi, octobre 29, 2013
Paris-Soir