Quand ils allaient «aux champignons»...

«Faites-vous des cauchemars?? Non»
Les fidèles de l'information sur LCI vont être affligés de perdre David Pujadas, excellent chef d'orchestre des fins de journée. Il s'en va. C'est triste. On s'habitue à ces compagnons du soir. Il va s'enchaîner au Journal de France 2, qui, il faut bien le dire, a fichtrement besoin d'être repris en main. C'est un bon choix. Sachant ce que l'on sait du climat qui règne dans le milieu, ses confrères l'attendent avec des escopettes. Pas lui spécialement! Quiconque peut bousculer des habitudes. Mais il est grand temps que l'information sur France 2 retrouve des ailes. Petit branle-bas ici et là dans les programmes, il y a beaucoup de branches coupées. «Nulle Part ailleurs» par exemple. Quand on pense à ce qu'a représenté Canal+ pendant des années pour son public, au style que cette chaîne a imposé, à l'esprit de dérision qu'elle a injecté partout, pour le meilleur et pour le pire, on s'aperçoit que quelque chose de l'époque meurt avec «Nulle Part ailleurs». Sont-ils encore capables d'inventer? On verra. Michel Field est évacué. Il a du talent, mais sa formule n'a pas marché. L'aspirateur de l'Audimat est passé un peu partout pour repérer les trous dans les audiences. Et zap! On regrettera «Absolument cinéma», pleine de charme. Du côté des naissances, «On aura tout lu», magazine sur la presse présenté par Paul Amar (La Cinquième). Question : toutes les photos sont-elles bonnes à être publiées même quand les intéressés se jugent offensés? Bonne question. L'arsenal des lois françaises est déjà très restrictif. Et les indemnités substantielles obtenues par quelques vedettes font rêver le moindre quidam saisi par hasard au Stade de France. Alors il porte plainte! L'astuce maintenant, ce n'est pas d'échapper au photographe mais de se glisser devant l'objectif. Les lois sont nécessaires quand elles protègent la vie privée. Mais il ne faut pas en abuser! La liberté de la presse, c'est aussi celle de la photo. Bernard Pivot a réuni une assistance abondante et huppée pour tirer sa révérence. Trop de personnes qui n'en finissaient pas de n'avoir rien à dire, c'était long, très. Soudain, on entendit Jean d'Ormesson s'écrier : «On n'en peut plus de Pivot. Et Luchini en plus! Et nous, on fait de la figuration!» C'était drôle que l'apostrophe soit lancée par l'homme le mieux élevé de la salle. Il a soulagé les autres qui n'auraient jamais osé. «Pièces à conviction» est un programme excellent, d'Hervé Brusini et Elise Lucet. Il a le défaut de passer (sur France 3) trop tard. Il ne s'agit pas de vouloir la lune, mais 22h30, serait-ce vraiment la demander? Le sujet, cette fois-ci, était accablant. Un homme est le premier à répondre aux questions d'Elise Lucet. Il s'appelle Sebastiani, il était sous-officier dans un régiment de parachutistes, je n'ai pas retenu lequel. Il raconte comment, avec ses hommes, il a «nettoyé» Alger.«On torturait? ? Bien sûr. A la baignoire, par exemple.» On sait que la torture à la baignoire était la technique favorite de la Gestapo, horrible modèle.«Quand on allait au travail, on disait qu'on allait aux champignons. On leur donnait un coup dans la nuque. ? Vous les enterriez?» Ç a le fait rire, Sebastiani? «Non. J'ai plusieurs fois participé. Un bon militaire, c'est celui qui a des résultats. ? Faites-vous des cauchemars? ? Oui, j'en fais encore.» Un autre militaire, officier : «Je ne fais plus de cauchemars. ? Vous pensez que c'était la seule méthode? ? Dans certains cas, oui. Il faut avoir le courage d'une décision prise seul. Je rendais compte tous les matins à Massu.» Les enquêteurs n'ont pas produit de document ou de témoignage attestant la responsabilité du personnel politique dans la mise en œuvre de la torture. Une déclaration de Maurice Bourgès-Maunoury : «Le feu doit être ouvert sur tout suspect qui tente de s'enfuir.» On a été ému de revoir Maurice Audin, dont la mort reste mystérieuse. Et de voir celui qui l'a «donné». Et qui ne s'en remet pas. Y a-t-il encore des spectateurs qui s'intéressent à l'Algérie d'hier? Elle était quasiment oubliée. Et puis un général exotique, Aussaresses, l'a fait sortir de son képi, avec son cortège d'abominations F. G.

Jeudi, juillet 5, 2001
Le Nouvel Observateur