C'est amusant de faire une émission en chinois, mais il ne faudrait pas en abuser...
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur sa tête? Pauvre Juppé! Pasqua, Séguin, Madelin, Léotard : ils n'ont pas trop de mots pour vilipender sa politique. L'opposition, elle, est dans son rôle et Jospin a montré une fois de plus, à «7 sur 7», qu'il a de la mesure s'il n'a pas encore de programme. Mais les autres? Drôle de majorité où l'on fait assaut pour débiner son chef! Mais il va, intrépide, droit dans le mur. Pour remonter le moral des jeunes gens du RPR, il leur a fait briller la promesse d'un second septennat de Jacques Chirac. Grisante perspective, non? Encore une promesse qui ne sera pas tenue. Ne jamais détourner les yeux quand on croise le regard d'un trisomique, ce devrait être une règle. C'est une blessure qu'on lui inflige, et pourquoi? Parce que nous avons peur de nous voir, dans son image, déshumanisés. Mais il est humain! Il est seulement un peu différent à cause d'un chromosome erratique et, le plus souvent, il est affectueux, tendre... On l'a bien vu à «la Marche du siècle» avec Pascal Duquesne, ce jeune comédien trisomique gai, malicieux, qui assume si vaillamment son handicap. Il reste que la naissance d'un bébé trisomique est généralement ressentie comme une tragédie et qu'il faut beaucoup de patience, beaucoup d'amour pour la supporter. Exemples, explications techniques, témoignages, l'émission a apporté tout cela. C'était du bon Cavada. Peut-on avoir plus de grâce discrète que Françoise Sagan parlant d'elle-même? Dans «Un siècle d'écrivains», elle fut parfaite, un peu mélancolique, lucide. Consciente de ce que fut sa jeune gloire prodigieuse, s'en amusant, consciente aussi de n'être devenue ni Proust ni Tolstoï. Ce n'est pas faute d'avoir voulu ni espéré. A 20 ans, elle disait : «Je n'en suis qu'aux balbutiements. Dans dix, quinze ans, j'aurai fait un vrai livre, où l'imagination, l'intelligence, la force seront parfaitement accordées... J'ai le temps... Mais j'ai trop de facilité à faire les choses, je suis paresseuse, je triche.» Le diagnostic vaut pour aujourd'hui. Pourtant, elle persiste : «Si je pouvais décrire la naissance et la mort d'un sentiment, je pourrais y passer ma vie...» Ces grands moments de bonheur que donne la faculté d'écrire... Elle n'a jamais pensé faire autre chose. «On vit seul, on meurt seul, c'est ce qu'il y a de plus courant. La vie des gens se passe dans la solitude...» Mais elle ne s'étend pas. «Il y a une impolitesse à parler de soi. Il faut passer vite.» Et puis ces mots : «La littérature ne sert à rien, ni son objet ni sa nature.» Une petite phrase terrible quand on a fait de la littérature sa vie. Bernard Pivot, ensorcelé par Jacques Attali, a essayé de nous démontrer que tout est labyrinthe, tout. Ils se renvoyaient la balle tous les deux. Jean Dutourd les écoutait. Il grogna : «Je ne comprends pas énormément de choses à ce que vous dites.» On se sentit soulagé de n'être pas seul. Lui raisonne droit : s'il n'y avait pas eu la prise de la Bastille, partant pas de Révolution, pas d'Empire, pas de nationalisme, que de sang épargné! Bonaparte se serait mis au service de l'Autriche et nous aurions aujourd'hui une bonne monarchie! Et si le nez de Cléopâtre avait été plus court... Voilà une philosophie de l'histoire! On parla un instant avec Hubert Védrine de la politique étrangère de Mitterrand mais pour en revenir bientôt au labyrinthe. On apprit alors que «la théorie des nœuds permet de donner une équation générale du labyrinthe» . C'est amusant de faire une émission en chinois, mais il ne faudrait pas en abuser. «Droit d'auteurs» a hérité d'une meilleure case horaire. Une bonne chose au moment où il n'y a que 500 titres lancés sur le marché? et où l'on a plus que jamais besoin de repères pour lire. Hélène Carrère d'Encausse, mettant toute sa passion au service de Nicolas II, sut donner envie de s'intéresser à ce malchanceux, Jacqueline Harpman intrigua avec son «Orlanda», cette femme qui s'en va habiter un corps d'homme. Patrick Cahuzac dit la formidable colère d'un homme auquel De Sica a volé sa vie en lui faisant tourner un film («l'Energumène»). Une émission bien venue. Enfin, le document sur la bataille de l'IVG dans «le Sens de l'Histoire»: sobre et bien fait. Mais à entendre les adversaires de la loi, on pouvait trembler de rage... F. G.
Jeudi, septembre 12, 1996
Le Nouvel Observateur