Permis d'empoisonner

La droite de Raffarin au secours des bouilleurs de cru
Pourquoi faudrait-il frétiller parce que le couple Juppé-Sarkozy ne se parle plus qu'avec un lance-pierres? Que ce soit l'un ou l'autre qui prenne la piste pour la prochaine présidentielle, on s'en moque un peu, non? Ce n'est vraiment pas le souci du jour. Jacques Chirac ne va pas laisser éternellement ces disciples indisciplinés brouiller la face exquise du parti unifié, mais il ne peut pas non plus les désespérer, les rendre méchants en annonçant sa propre candidature trop tôt. En attendant, c'est à celui des cadets qui fera le plus de gaffes. De ce côté-là, Juppé paraît le plus doué. L'élection de Christian Blanc aura réjoui tous ceux qui le connaissent. Il se passe chaque jour de drôles de petites choses à l'Assemblée, auxquelles personne ne prête attention. On met entre parenthèses l'amendement Michelin disposant que les comités d'entreprise soient informés des projets de licenciement avant que ceux-ci ne soient rendus publics, on rétablit pratiquement le fameux privilège des bouilleurs de cru, aboli en 1953. A été votée la détaxation à 50% de 10 litres d'alcool par foyer. Cet alcool familial, ce tord-boyaux consommé à la maison, parfois vendu au noir, a empoisonné des générations d'habitants des campagnes. La détermination de Pierre Mendès France en est venue à bout au terme d'une campagne dont l'issue devint symbolique : ainsi, quand la volonté politique était là, un chef de gouvernement pouvait triompher des intérêts particuliers, des groupes de pression. Heureusement que l'UMP est arrivée pour assurer la relève des belles traditions françaises dont l'alcoolisme est le fleuron. Les cancers de l'?sophage et de la bouche dont le nombre diminuait régulièrement retrouveront de beaux jours. Encore une fois, bravo monsieur Raffarin! Comment parler utilement du sida? Les chaînes publiques n'ont même pas essayé, France 2 étant absorbée par son Téléthon, qui demeure un remarquable succès. Du côté du sida, c'est plus difficile. Le sida n'attendrit pas, il fait peur. On chante beaucoup, on manifeste, on s'indigne que l'AZT ne soit pas à la portée des 40 millions de porteurs du virus éparpillés dans le monde. Trop cher. Pas d'infrastructure pour le distribuer et le faire consommer convenablement. Malgré le dynamisme d'Act Up, les lourdeurs matérielles et psychologiques qui freinent l'action sont puissantes. L'histoire de l'AZT a été racontée par Arte. L'AZT ne guérit pas mais permet de vivre. Il a été synthétisé dès 1964 par un chimiste américain. C'est une grande firme pharmaceutique qui revendique son brevet et a mis l'AZT sur le marché avec d'énormes bénéfices. Les explications techniques alternaient avec les images de douleur des sympathisants d'Act Up jetant les cendres de leurs morts sur les pelouses de la Maison-Blanche et s'effondrant en larmes, ou cet homme émacié qui vient annoncer, AZT ou pas, qu'il n'en peut plus, qu'il va se suicider. Tout cela n'était pas gai et appelait une question à notre ministre de la Santé: quand commence en France la prochaine campagne de prévention? Le sida a déjà fait 25 millions de morts. Avec l'entrée dans la danse funèbre de l'Inde, de la Russie, de la Chine, où les progrès de la maladie seraient foudroyants, tous les désespoirs sont permis. Le sida n'est pas à la porte. Il est dans la place. Et le vaccin n'est pas pour demain. Taper sur Canal+, à quoi bon? Ses dirigeants ont des yeux pour voir que Maurad, transfuge de la radio, n'est pas une bête de télévision et que la mise en scène misérable dans laquelle on le présente l'achève. On va finir par croire que cette case horaire réputée riche d'audience est ensorcelée. Là, c'est plouf, me dit-on. René Rémond, le grand historien de la droite en France, est trop connu pour qu'on le présente. A l'occasion de deux de ses ouvrages qui sortent en même temps, Edwy Plenel (LCI) a essayé de le chatouiller. Sur sa foi chrétienne qu'accompagne sa foi dans l'homme, sur son aisance à fréquenter les institutions et à assurer des présidences, sur la sérénité qu'il doit, dit-il, à son métier d'historien. Qui étudie l'histoire s'aperçoit que tout est toujours arrivé et qu'en même temps rien ne se répète. C'est l'homme le plus réconfortant du monde. On l'eût volontiers écouté plus longuement. F. G.

Jeudi, décembre 12, 2002
Le Nouvel Observateur