Paroles coupées

La véritable inégalité à la télévision est-elle vraiment, comme le croit Pierre Bourdieu, entre les gens «importants» et les autres?
Ainsi, le docteur Gubler ne touchera pas les deniers de sa trahison. Pour le reste, sa vengeance est accomplie. Alors, si on le laissait maintenant dans l'ombre dont il n'aurait pas dû sortir? Il a raconté le contenu de son livre en long, en large et en travers sur toutes les ondes. Nous voilà repus. A chacun de savoir, après ces révélations, où il en est avec François Mitterrand, grand dissimulateur devant l'Eternel, s'il l'absout ou le condamne. Gubler est une quantité négligeable. Parlons donc d'autre chose. Par exemple du remarquable numéro d'«Arrêt sur images» où Daniel Schneidermann avait invité Pierre Bourdieu. Il arrive que, dans cette émission hebdomadaire qui vise à déchiffrer la télévision, sous la peau des images, on coupe les cheveux en quatre. Ici, ce fut autre chose. Pierre Bourdieu avait choisi lui-même des extraits qu'il jugeait significatifs des effets pervers de la télévision, singulièrement quand elle traite du monde social ? on empêche les gens de parler, on est arrogant, on traite autrement «les importants» et ceux qui ne le sont pas, à peine quelqu'un a-t-il répondu on lui coupe la parole, etc. Extraits éloquents. Ce faisant, Bourdieu mit en cause «la Marche du siècle» et deux interviews de Guillaume Durand. Or, Cavada et Durand, présents sur le plateau, n'ont pas accepté le procès qui leur était fait. Déférents à l'égard de Bourdieu, mais non aplatis, ils discutèrent pied à pied. Ce syndicaliste CGT qui, pendant les grèves, demandait la parole et ne l'a pas eue? C'est qu'il n'a pas su la prendre. Il y a une inégalité de fait entre ceux qui ont l'habitude de la télévision et ceux qui ne l'ont pas... Les gens ne voient pas les images de la même manière, ce qui choque l'un convient à l'autre... Vous étiez, vous, Pierre Bourdieu, du côté des grévistes, vous avez choisi votre camp, mais ce n'est pas forcément celui de la vérité... Bref, on ne se fit pas de cadeaux. Reste que Bourdieu a touché des points sensibles auxquels aucun journaliste de télévision ne devrait être indifférent. Mais qu'il est donc surprenant de l'entendre parler de lui à la troisième personne (La Cinquième)! Une fois n'est pas coutume, «Envoyé spécial» a déçu avec son reportage sur la politesse, qui connaîtrait, paraît-il, une nouvelle faveur. Rien de plus précieux dans les rapports humains que le lubrifiant de la politesse, mais, que diable, ce n'est pas une affaire de baronnes et de comtesses, ce n'est pas l'art de faire un plan de table, ni même celui d'envoyer des fleurs. La politesse, c'est une façon d'être que l'on apprend quand on est petit et que l'on trouve chez les gens les plus modestes. C'est, simplement, le souci de l'autre. Il faudrait parler de tous les documentaires d'Alain Jaubert sur la peinture tant ils sont intéressants. Celui sur les autoportaits de Rembrandt, rediffusé, est un chef-d'œuvre du genre. On sait que le peintre s'est représenté plus de soixante fois. Ce regard aigu posé sur lui-même, cette quête inlassable de sa propre vérité intérieure, cette traque ironique des ravages de l'âge, l'ensemble de ces toiles traitées le plus souvent en clair-obscur était somptueux. Jaubert enseigne à voir. C'est un grand compliment (Arte). Mœurs de goujats! Cette exclamation que m'a arrachée la publication de «Paris-Match» de la première photo prise à l'insu de Mazarine trouve sa confirmation aujourd'hui. Cette fois, c'est la chambre mortuaire de François Mitterrand qui a été violée. On n'arrête pas le progrès. Pour se justifier de ce viol, Roger Thérond, responsable de «Match», a livré à ses lecteurs une page d'écriture dans laquelle, laborieusement, il m'insulte en me faisant la leçon. Thérond! La leçon! Cela tourne à la manie. Il avait déjà commencé à m'accrocher après l'affaire Mazarine. A la suite de quoi, par jugement définitif du 1er mars 1995, le tribunal de grande instance de Nanterre a condamné Roger Thérond à des dommages et intérêts «pour préjudice moral à la suite d'attaques portées par Paris-Match" sur mon honneur, ma probité et ma déontologie». Est-ce assez clair? On peut recommencer si ça l'amuse... Le vrai est que Roger Thérond a perdu son sang-froid depuis que je lui ai dit son fait. La vanité blessée n'est jamais bonne conseillère. F. G. "

Vendredi, janvier 25, 2002
Le Nouvel Observateur