Il y a des chansons qui remuent le public au point de le faire fondre. Et moi avec...
Qu'est-ce qu'un héros? Quelqu'un qui donne sa vie. La France n'en a pas manqué, mais c'est une figure qui n'est plus à la mode. Il n'est pas mauvais de la ressusciter même si c'est une erreur de programmer la même semaine un film, le deuxième sur Jean Moulin, et un autre, le premier sur Pierre Brossolette. Capturé par la Gestapo de l'avenue Foch, Brossolette a réussi à sauter par la fenêtre. Il a atterri sur une terrasse, s'est relevé, a enjambé la balustrade et s'est écrasé dans la rue. Moulin est mort sous la torture, sans parler lui non plus. Ces deux hommes ne s'aimaient guère, mais ils aimaient leur pays, de Gaulle et la liberté. Chacun d'eux a joué un rôle déterminant dans les décisions de De Gaulle qui les a fait, à Londres, compagnons de la Libération. Le rôle de Brossolette est moins connu mais aussi important, il est assez bien rapporté dans le film qui lui est consacré (France5). Ce normalien avait une intelligence flamboyante, le génie de l'improvisation. Il avait aussi la tête politique. Mais quand de Gaulle eut à choisir entre les suggestions de Moulin et celles de Brossolette pour refonder la France une fois libérée, il écarta celles de Brossolette. Celui-ci se fit parachuter à Paris. La Gestapo se saisit de lui. C'était en mars 1944. Douce surprise le 1erjanvier : France2 transmet, depuis la salle d'or du Musikverein à Vienne, le rituel concert de Nouvel An que donne le Philarmonique de la ville. C'est Nikolaus Harnoncourt qui dirige. Un personnage, celui-là, vénéré ou vilipendé. Violoncelliste de l'orchestre, il a décidé un jour qu'il fallait jouer les œuvres des siècles passés telles que les compositeurs les ont conçues, c'est-à-dire avec les instruments de l'époque. Et il l'a fait, en créant sa propre formation. Le beau est qu'il est parvenu à imposer son esthétique, et la musique baroque en particulier, ainsi rhabillée, à des milliers de mélomanes. Il est célèbre dans le monde entier. Les Français sont les plus réservés. A Vienne, comme il avait au programme «le Beau Danube bleu», «la Marche de Radetzky» et une série de pièces de Strauss (Johann, pas Richard), il n'y avait pas matière à s'énerver. Il est probable que le public de France2 aura grandement apprécié d'entendre, en déjeunant, ces œuvres familières. On finit par se sentir mauvaise conscience d'avoir les pieds au sec loin des autoroutes asphyxiées et pas de boulettes de fioul dans le quartier. Les inondations donnent une impression de désolation, de sournoise cruauté de la part de la nature. On se sent trempé rien qu'à regarder. Les amuseurs ont fait de leur mieux pour chasser la mélancolie. Sur la 2, Laurent Ruquier a réussi, avec sa bande d'allumés, un spectacle parodique de la télévision franchement drôle. Marc-Olivier Fogiel a ouvert son émission sur la 3 avec la vedette de l'année, Bernadette Chirac. Qui dit mieux? Ce soir-là, elle honorait le jeune homme pressé de sa présence avec un numéro tellement rodé maintenant qu'elle est aussi naturelle qu'Isabelle Huppert. Elle paraît même s'amuser. Fogiel devrait prendre garde : pour quelqu'un qui interroge, il parle trop. Plus tard, la présence de MM. Balkany et Mellick dans l'émission ne paraissait pas s'imposer. Leur réélection locale les a remis en selle, il n'y a pas lieu de la discuter. Tout au plus, de s'interroger sur cette spécialité française qui conduit à voter pour des candidats auxquels on ne confierait pas sa montre. France 2, mettant les petits plats dans les grands, a jumelé Jean-Luc Delarue et Michel Drucker pour animer une longue soirée dédiée à Patrick Bruel ému. Tous les tubes des années envolées ont défilé, Johnny est venu chanter, Aznavour aussi. Quand, de tube en tube, on en fut à «Parlez-moi d'amour?», le public était sur le point de fondre, tout remué. Moi aussi. J'adore les chansons d'amour. Thema d'Arte sur l'Italie, où une loi interdit de licencier. Berlusconi a décidé de l'abroger. L'indignation a mis des milliers de gens dans la rue, et puis quoi? Ils sont impuissants. La gauche n'a pas de vrai discours à opposer à Berlusconi. Beaucoup de petites entreprises sont fondées sur la famille qui travaille dix-huit heures par jour. Berlusconi les cajole. Il a supprimé une taxe qui les concernait. Accusé de falsification de bilans, corruption de magistrats, complicité avec deux mafieux, il répond en supprimant pour tous l'impôt sur les successions. Ainsi, petit à petit, l'oiseau fait son nid. Dans une population qui, après tout, savait pour qui elle votait. Un journaliste trop curieux vient d'être chassé de la RAI? Son émission supprimée? Bof! On ne va pas pleurer. Il est fort, Berlusconi. F. G .
Jeudi, janvier 9, 2003
Le Nouvel Observateur