Notre jeunesse au Panthéon

Trop triste pour Dumas, son ultime demeure? Il y est pourtant en bonne compagnie
Le Panthéon est un lieu sinistre où se trouvent bon nombre de dépouilles dont le nom ne vous dit rien. Mais il y a aussi Voltaire et les Curie et Hugo et Jean Moulin. Alexandre Dumas le métis, ce joyeux compagnon de notre jeunesse, s'y retrouve donc en bonne compagnie. Pour l'y introduire, le président de la République s'était dérangé. Discours excellent, Alain Decaux aussi. En revanche, l'évocation par des comédiens du théâtre de Dumas, qui n'est certainement pas ce qu'il a fait de mieux, était superfétatoire. Mais l'ensemble de la cérémonie a duré moins de deux heures, ce dont chacun se félicita, et on se retrouva dans les petites rues et les boulevards du quartier Latin envahis par une foule compacte. Pour des funérailles, c'était plutôt gai. Depuis quelques jours, cela sentait l'agitation sociale à Paris mais pas la grande turbulence? On verra si cette relative tiédeur persistera quand M. Raffarin s'attaquera aux retraites autrement que par la bande. Tiédeur qui doit beaucoup à l'opposition. Ou plus exactement à sa vertigineuse absence, dès lors que personne ne l'incarne. Alors, on écoute vaguement le petit postier sympathique abonné à la Révolution, cela ne va pas très loin, on entend François Hollande qui surfe sur une mer mauvaise et on n'a pas vraiment envie d'aller crier «Raffarin au poteau». Mais le 8 décembre, les enseignants seront dans la rue. Le Premier ministre doit compter les jours avant la trêve des confiseurs? On ose à peine allumer la télévision tant elle a d'horreurs à vous livrer. Sida : les derniers chiffres sur l'expansion du mal sont accablants, et toujours pas de vaccin en vue, la Russie, la Chine, l'Inde largement contaminées à leur tour. Ben Laden : si la rédemption de l'Occident frivole doit être payée par l'assassinat de touristes israéliens au Kenya, on en est d'avance dégoûté. Quelle est donc cette foi religieuse où les croyants ont les mains pleines de sang? Quant au spectacle du pétrole répandu sur les côtes d'Espagne, c'est l'une des choses insupportables qui sapent la confiance des citoyens dans leurs dirigeants. Qu'ils soient incapables, ensemble, d'imposer l'élimination des bâtiments trop vieux pour effectuer sans danger de tels transports paraît inconcevable. Quoi encore? Cohn-Bendit dans le «Double Je» de Bernard Pivot (France 2). Il a vieilli mais il garde sa bonne gueule sympathique. Pivot l'a fait essentiellement parler de lui, Allemand né à Montauban, totalement bilingue mais comptant en français. Est-il désamorcé? Non. Il aime ce qu'il fait, député au Parlement européen, et s'y sent utile. Que demander de plus à la vie? Dans la même émission, un monsieur très distingué, William Christie, Américain attiré de bonne heure par la culture française et qui a consacré sa vie de chef d'orchestre à la musique baroque, dit : «La France est l'un des derniers pays habitables.» Pourvu que ça dure? Les deux jeunes dames qui dirigent ensemble «Envoyé spécial» ont célébré le 12e anniversaire de l'émission. Elles étaient allées toutes les deux chez le coiffeur, ce qui est trop rare à mon gré, et ce fut une bonne émission autour d'un aventurier français qui est devenu à Moscou le roi de la nuit; d'une femme qui élève cinquante orphelins dont les parents ont été tués, des orphelins chimpanzés; de Laurence, la belle jeune femme qui s'est consacrée aux enfants de Manille, ceux qui escaladent le tas d'ordures de la ville et piochent dans cette gigantesque poubelle. D'autres émissions sollicitaient l'?il cette semaine : Raymond Devos célébrant ses 80 ans chez Daniela Lumbroso, si jolie. Qui d'autre que Devos oserait faire un numéro sur sa propre mort pour vous faire rire? (France 2.) Une enquête sur ce qu'on appelle «l'affaire de l'Observatoire», ce faux attentat où fut piégé François Mitterrand. On ne sait toujours pas avec certitude qui était derrière son lamentable exécutant. Ni s'il y avait vraiment la main de Michel Debré (France 3). Sur LCI, Edwy Plenel avait réuni Jacqueline Lévi-Valensi et Jean Daniel pour présenter et commenter les recueils d'articles d'Albert Camus qui viennent d'être publiés. Jean Daniel a détruit d'un mot le mythe d'un Camus pour lequel le journalisme aurait été une activité subalterne. Il aimait au contraire se définir comme journaliste professionnel, comme les grands Américains, Hemingway, Caldwell, Dos Passos, et nourrissait une passion pour ce métier. Mais quelles mesquineries ne dit-on pas sur Camus dès que Jean Daniel tourne le dos! Il était trop beau, trop choyé par les plus grands succès, trop indépendant pour être tout à fait supportable. Cependant, sa pensée politique était modeste : préserver dans l'homme la part qui n'appartient pas à l'histoire. Un beau programme. F. G.

Jeudi, décembre 5, 2002
Le Nouvel Observateur