Non à la peur!

Cessez donc de faire le jeu de l'adversaire. En guerre, celui qui a peur a perdu
Privé d'Olivier Mazerolles, «le Grand Jury» a changé d'esprit. C'est un sombre inquisiteur, maintenant, qui soumet l'invité à la question avec l'air consterné d'avance par les réponses qu'il recevra. Par exemple sur le terrorisme biologique, les enveloppes de poudre blanche, dont il ne parlerait pas autrement si la moitié de sa famille avait déjà succombé. Bernard Kouchner réagit avec violence. Toutes les mesures de sécurité possibles sont prises, les stocks de pénicilline constitués, et apprenez donc que deux Américains sont soignés dans nos hôpitaux. Cessez donc d'avoir peur et de faire le jeu de l'adversaire. En guerre, celui qui a peur est perdu. Le ravitaillement aérien en vivres est dérisoire? Savez-vous qu'il n'y a plus une ONG en Afghanistan, toutes expulsées, que la population est totalement sous-alimentée? Alors ce que lâchent les avions ne nourrira pas tout le monde évidemment, mais un nombre suffisant d'Afghans affamés pour que les opérations se justifient. Laissez braire les humanitaires qui râlent? On était loin, avec Kouchner, du discours convenu. Démêler aujourd'hui le vrai du faux est un exercice décourageant. Les images, rares, sont d'origine incertaine, les commentaires fantaisistes. Samedi vers 18h15, un jeune homme afghan qui cherche à passer la frontière dit : «Il n'y a pas de victimes civiles des bombardements. Ce sont les talibans qui racontent ça, des mensonges.» Samedi vers 19heures, dans une chambre d'hôpital à Kaboul, trois blessés couchés. Commentaire du présentateur : «Les bombardements ont fait de nombreuses victimes civiles, dont des enfants.» On ne les voit pas. Que croire? Beaucoup auront vu l'image du choc prétendu entre hommes de l'Alliance du Nord et talibans. Le document datait? de 1998. Cela a été décelé par le spécialiste du zapping chez Canal. Mais tout le monde avait marché. «Arrêt sur images», fidèle à sa vocation, fait un décorticage frénétique de tout ce qui donne lieu à imposture. Ainsi a-t-on assisté à une étude minutieuse du plan désormais fameux diffusé par Al-Jazira où l'on a vu Ben Laden déclarer que l'Amérique ne connaîtrait plus jamais la sécurité. S'il n'assume pas directement le massacre de New York, disent les spécialistes, c'est parce qu'il est le fruit de la volonté de Dieu, lui n'est que l'instrument. Ça ne lui fait pas de publicité, à Dieu, mais bon, soit. Ce fameux plan donc, a d'abord été annoncé comme tourné en direct, puis il a été dit enregistré en 1998, puis quelques heures avant sa diffusion. Tout cela n'a pas la même signification, évidemment, quant à la localisation de Ben Laden. Bref, toutes les sources d'information sont suspectes et exigent une extrême vigilance de la part de qui les utilise et aussi de qui les regarde. Sur la stratégie de Ben Laden, un éclairage nouveau a été donné par le très compétent Olivier Roy chez Edwy Plenel. L'ennemi numéro un de l'Occident ne vise pas la construction d'un Etat islamique comme l'Iran. Il voit bien que la révolution a échoué partout. Aujourd'hui, il est un pur activiste de la contestation, comme l'ont été dans les années 70 Baader en Allemagne, les Brigades rouges en Italie, les maos et Action directe en France. Il occupe le même espace à gauche et dit aux musulmans du monde entier «Soulevez-vous!». Lorsqu'ils auront tous pris la rue, il pourra, croit-il, rétablir le califat, soit un chef suprême de la communauté islamique. C'est une pure utopie, mais une figure nouvelle de l'utopie. Ben Laden est un personnage éminemment moderne. Les jeunes qui le suivent réinventent l'islam avec une fascination morbide. Voici, sauf erreur, l'analyse d'Olivier Roy. Les événements actuels étaient également au cœur d'une nouvelle émission, «Culture et dépendances», proposée par Franz-Olivier Giesbert sur France3. Thème : Où va l'Occident? On n'a pas été vraiment renseignés! Mais on connaît FOG, il est beau, charmant, beaucoup plus présent que dans le défunt «Gai Savoir» où il semblait périr d'ennui. Là, rien de tel. Il avait invité Salman Rushdie, humour dévastateur, dont le nouveau roman, «Furie», se déroule à New York, annexe de l'enfer. Prémonitoire. On entendit Jean-Pierre Chevènement et Alain Finkielkraut, sobres l'un et l'autre : «New York est un pôle du monde, la pointe avancée d'une civilisation universelle?», dit J.-P. C. Et Finkielkraut : «On ne hait pas ce qui est horrible mais ce qu'il y a d'aimable à New York, les femmes, une ville juive...» Je ne sais lequel rappela le mot de Jacques Berque, orientaliste aujourd'hui disparu : «L'Islam est une mollacratie.» Ce qui succéda à cette conversation entre gens de bonne compagnie fut hétéroclite. FOG cherche manifestement à ouvrir l'éventail de son émission au-delà des livres, vers le cinéma, la chanson. Ce métissage, personne ne l'a jamais réussi. F. G.

Dimanche, octobre 28, 2001
Le Nouvel Observateur