Mozart-ringard?

La musique n'adoucit pas les moeurs parisiennes. Un exemple : le mauvais procès fait au directeur de l'Opéra de Paris, Hugues Gall
Quand on entend José Bové insinuer devant Karl Zéro que les attaques contre les synagogues en France sont le fait du Mossad, on ne sait pas si l'on est plus écœuré par ce pseudo-paysan exhibitionniste ou par celui qui l'accueille en souriant. A regarder ici et là, on a parfois l'impression que le soutien sentimental aux Palestiniens s'accompagne d'un habillage pour biaiser l'information dont les vieux journalistes connaissent bien la technique. On dit par exemple : «Selon Tsahal, le tir n'a pas fait de victimes?», ou bien : «Tsahal prétend qu'il n'y a pas de victimes?» Vous saisissez la nuance. La source la plus fiable, on la trouve sur LCI, dans l'émission dirigée par Vincent Hervouët, chef du service étranger. Il sait de quoi il parle, il a une vraie et vaste culture politique, il a du temps devant lui pour interroger sans arrogance ni complaisance et nul ne peut dire, en ce moment, où vont ses sympathies. Vu également sur LCI, chez Edwy Plenel, Théo Klein, avocat international renommé, président d'honneur du Crif, juif donc, mais qui ne se laisse pas embrigader. Il a déconseillé la manifestation de l'autre semaine, qui marquait un repli communautaire désastreux à ses yeux, et il a refusé d'y participer. Il y a six mois, il a écrit à Sharon que sa politique «avait atteint son point extrême d'absurdité». Aujourd'hui il ajoute : «Il faut avoir le courage politique de ne pas répondre à la violence par la violence, il faut reconnaître que cette terre nous est commune?» Mais le courage politique est le plus rare. Quand les dieux ont soif, il est toujours plus facile de tuer et de se faire tuer. A lire : «Libérez la Torah!», un livre provocant de Théo Klein. La vie continue. Dans l'hypothèse où Chirac s'accrocherait à son fauteuil, qui sera ministre de la Culture? Des noms circulent déjà, tant certains jugent le poste stratégique. Le milieu culturel où les haines sont les plus vivaces, c'est la musique. Les clans y sont tranchés, les nominations objet d'intrigues inouïes, les représailles redoutables, qu'on en croie une ci-devant ministre de la Culture. On a eu un échantillon d'un certain style de relations en lisant la diatribe d'un journaliste du «Monde» concernant Hugues Gall, directeur de l'Opéra de Paris. L'Opéra vient de présenter un «Barbier de Séville» éblouissant, ce journaliste prend prétexte d'un «Idoménée» détestable pour déclarer nul, «ringard», désatreux de bout en bout depuis sept ans le travail d'Hugues Gall. La salle est pleine tous les soirs, elle accueille 800000 personnes par an avec des places de 23 à 105 euros, et si le public n'est pas composé de smicards, il ne vient pas non plus des beaux quartiers, le budget (900 millions) est en équilibre. Tout cela pour montrer quoi? Ce qu'aime le public d'opéra, Mozart, Verdi, «Butterfly», etc., tout le répertoire. De temps en temps, une œuvre plus moderne, la «Lulu» d'Alban Berg, une œuvre contemporaine, le remarquable «K...» de Philippe Manoury, mais l'adhésion du public, là, est beaucoup plus aléatoire. Berg, c'est déjà limite. Cependant, si l'on peut faire un reproche à Hugues Gall, c'est de n'avoir pas pris assez souvent des risques. Monter une œuvre contemporaine, c'est une fois sur deux vider la salle, on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif. Mais on aurait apprécié quelques audaces, quitte à les entendre siffler copieusement. Il reste qu'arrivé en fin de contrat Hugues Gall, qui avait hérité d'un bateau qui coulait, peut repartir la tête haute. Celui qui va le remplacer, Gérard Mortier, est un homme d'expérience et de talent. Longtemps à Salzbourg, il a fui sous les tomates à cause d'une «Chauve-Souris» de Johann Strauss que le public du Festival n'a pas avalée. A Paris, il trouvera la même équation que Gall : quand on vide la salle, on vide la caisse. On devrait pouvoir faire cela de temps en temps pour former les oreilles récalcitrantes. Le problème de la musique contemporaine, c'est qu'elle peut être d'un ennui accablant. Alors tout un opéra? Il vaut mieux s'y mettre doucement, sur France-Musiques, si l'on veut être capable de lancer un jour, avec le dédain très chic de ce journaliste du «Monde»: «Mozart-ringard!» Tel qu'en lui-même, «Loft Story» dévide son bis à toute heure sur M6. Regardant l'ouverture par conscience professionnelle, quelque chose m'a tiré l'?il. L'imposant popotin moulé dans un tissu bleu ciel de l'une des lofteuses. A part cette étrangeté, rien qui vaille d'être signalé. F. G.

Jeudi, avril 18, 2002
Le Nouvel Observateur