Monsieur, vous oubliez votre cheval…

Entremêle le récit de la signature de l'accord des 6 sur l'unification de l'Allemagne occidentale par Georges Bidault, ministre des affaires étrangères et la victoire de l'étalon My love, au Derby d'Epsom. Dresse une comparaison teintée d'humour entre ces
DEUX Français sont partis pour Londres.
L'un, 47 ans, est revenu avec la tête basse et des ''recommandations ''. L'autre, 3 ans, est revenu avec la tête haute et 15 millions. Le premier est connu sous le nom de Georges Bidault. Le second sous le nom de My Love.Le premier est ministre des Affaires étrangères. Et l'on sait que, en ce moment, les affaires ne vont pas fort... Puisqu'il a signé l'accord des Six au sujet de l'unification de l'Allemagne occidentale. Mais que vouliez-vous qu'il fît contre cinq ?
Le second est un étalon. Et il a gagné le 163e Derby d'Epsom contre 32 concurrents. Voici quelques éléments qui vous permettront d'apprécier les avantages et les inconvénients respectifs de ces deux représentants de l'élevage français. Pour nourrir My Love, M. Volterra et l'Aga Khan, qui l'ont acheté ensemble à raison de deux pattes chacun, dépensent 900 francs par jour, 27.000 francs par mois. Son trousseau a coûté environ 80.000 francs.
Pour nourrir M. Bidault, les Français, qui s'y sont mis tous ensemble, dépensent 3.000 francs par jour, 90000 francs par mois. Mais, en guise de trousseau, ils ne l'ont évidemment pas gâté. Les dépenses s'équilibrent donc à peu près.
Maintenant, voyons les recettes :
Outre les 12.484 livres sterling que les Anglais lui ont versées, la mort dans l'âme, parce qu'il a gagné la course, My Love recevra 500.000 francs chaque fois qu'il accordera ses faveurs à une pouliche.
Là, évidemment, la comparaison devient plus difficile ; la reproduction systématique des ministres n'ayant pas encore été organisée, on leur donnerait — ô subtilité de la langue française ! — un nom de poisson s'ils se comportaient comme ce cheval.
My Love n'est que le quatrième cheval français qui gagne le Derby, ainsi appelé parce que les courses furent inventées, en l'an de grâce 1700, par le lord du même nom pour découvrir les chevaux les plus rapides qui deviendraient les meilleurs étalons.
Comme le disait un jour un souverain oriental qui se trouvait à Epsom :
— Chez nous, on sait bien qu'il y a toujours un cheval qui court plus vite que les autres. Mais on ne se donne pas tant de mal pour découvrir lequel c'est.
L'exemple de lord Derby ayant néanmoins été suivi, il y a 15.000 pur sang en Angleterre et 10.000 en France, dont les 1.000 propriétaires ne rêvent que de gagner à Epsom.
Depuis vingt ans, dit-on, M Boussac, qui joint l'utile à l'agréable en étant à la lois propriétaire de la Toile d'Avion (l'utile), d'une écurie considérable (l'agréable) et de Christian Dior (dont on ne sait encore dans quelle catégorie il faut le placer), M. Boussac essaye en vain de décrocher les 12.000 livres et les félicitations du roi
d Angleterre.
M. Bidault n'est pas le premier ministre des Affaires étrangères qui ramasse une veste à Londres à propos de l'Allemagne.
Pourtant, comme aurait pu le dire un souverain occidental
— Chez nous, on sait bien qu' il y a toujours un pays qu se fait envahir par l'autre. Mais il y a longtemps qu'on a découvert lequel c'est.
Voilà où nous en sommes.
Cependant, si certains espoirs fançais sont ruinés, il nous reste une consolation : les bookmakers anglais le sont également.
Si My Love se fût appelé Jérusalem, aucun citoyen de Sa Majesté ne l'eût joué. Mais, ainsi nommé, il a réuni sur son encolure tous les suffrages féminins, car les femmes, toujours sentimentales, s'intéressent moins à l'arrière grand - père d'un cheval qu'à son prénom.
Ce en quoi il semble qu'elles n'ont pas tort puisque, à la veille du Derby, un savant professeur de l'Université de Cambridge, jugeant sur les généalogies comparées des concurrents alignés, déclara, après une longue étude, que le gagnant serait... le cheval anglais qui est arrivé quatrième.
Ce détail pour décourager les amateurs qui seraient tentés de chercher dans les antécédents de M. Bidault s'il est, oui ou non, destiné à faire mieux la prochaine fois.
Enfin, si votre orgueil national est blessé, je ne saurais trop vous répéter :
— Monsieur, vous oubliez votre cheval.
Et vous auriez tort d'accabler Georges Bidault. Rien ne dit que, si l'on organise une course entre ministres, il ne sera pas, lui aussi, le premier au poteau

Mardi, octobre 29, 2013
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