Mgr Veuillot est resté derrière la vitre

Mgr Veuillot intervient dans « Face à Face » pour expliquer l'interdiction du film « La Religieuse ». FG regrette qu'aucun véritable dialogue n'ait pu s'instaurer avec l'homme d'Eglise.
Le Premier ministre l'a échappé belle ! A quelques jours près, c'est à lui que l'on eût demandé raison, pendant « Face à face », de l'interdiction de « La Religieuse ». Et non à Mgr Veuillot, qui n'a pas manqué d'en rejeter, sans y mettre d'onction, la responsabilité sur le gouvernement, en même temps qu'il déclarait « discutables » les méthodes employées par les religieuses pour que l'on brûle Diderot.
Approuve-t-il cette interdiction ? Non. Il l'a dit : non. Nous avons appris de sa bouche qu'il déplorait une entreprise de nature à blesser, selon lui, des femmes respectables, mais que « c'est une autre question ». Il est étrange que ce soit l'archevêque co-adjuteur de Paris qui ait eu à en faire la remarque. D'un acte politique, accompli pour des raisons politiques, c'est au pouvoir politique de porter le poids. Ce n'est pas de Rome et de l'archevêché que celui-ci tient son mandat, que l'on sache. Et, pour ce qui est du jugement de Dieu, le général de Gaulle et son gouvernement auront bien d'autres motifs à implorer miséricorde que la libre diffusion, si elle intervient jamais, de « La Religieuse ».
La même paroisse. Que pouvait-on sérieusement espérer de Mgr Veuillot en l'interrogeant comme il le fut lundi soir ? Qu'il donne tout soudain l'absolution à l'infortuné producteur, M. de Beauregard, et que, dans le mouvement, il autorise l'usage des contraceptifs aux téléspectatrices trop fertiles, pour qu'elles puissent retenir leur mari d'aller se distraire avec le tiercé ?
Peut-être est-ce se faire une trop haute idée de l'Eglise en général et de l'Eglise de France en particulier : nous n'attendions pas que celui qui parlait en son nom remplît cette fonction de préfet à la police des mœurs, et qu'il déclarât amnistiées les contraventions à la loi Ogino après avoir feuilleté le Code, c'est-à-dire les Evangiles.
« Vous avez, me dit-on, une vue trop janséniste des relations du chrétien avec son Eglise. Des millions de femmes attendent, elles, que l'Eglise dise la loi, que de nouvelles règles de vie mieux appropriées au monde moderne les aident à se diriger... »
Soit. Et d'ailleurs, peu importent mes vues et ce que j'eusse espéré d'un dialogue avec l'homme de Dieu. Autorisations et interdictions y auraient tenu, c'est vrai, peu de place.
Le dialogue n'a pas eu lieu. Ni celui-là, ni un autre, d'ailleurs. Tout le monde appartenait à la même paroisse, on discutait entre soi, sans révérence d'un côté, sans hauteur de l'autre. L'espèce de familiarité exigeante et même de rudesse avec laquelle Robert Serrou, en particulier, secoua ce prince de l'Eglise, la façon dont Mgr Veuillot se garda de prendre des distances... Il y eut là l'écho, fugitif, d'une authentique fraternité batailleuse, de quelque chose qui ressemblait au christianisme et qui, en même temps, isola « ceux qui croyaient au Ciel » de « ceux qui n'y croyaient pas ».
L'autre église. Tranformés en spectateurs d'une pièce qui se jouait devant eux, les seconds — et, parfois, les premiers — eurent, alors, tout loisir de chercher par quoi ce monsieur si délié, cette conversation si animée, évoquaient curieusement le gauche entretien où le chef d'une autre église, M. Waldeck Rochet, était apparu.
Même mélange d'humilité personnelle et de foi dans la grandeur de la doctrine ? Sans doute. Mais aussi même silence, sous la rumeur des mots.
Entre le secrétaire général du parti communiste et ses interlocuteurs, le mur du dogme était en béton. Fort de deux mille ans d'expérience, Mgr Veuillot n'était pas muré. Mais il était vitré. Transparent, mais hermétique ; offert, mais opposant une glissante surface à la pluie des questions qui venait avec turbulence s'écraser contre lui. D'un coup, il en essuya les dernières traces par une réplique superbe :
« Vous me donnez combien de temps, M. Farran, pour répondre au problème de Dieu ? »
Et puis, l'éclair d'un instant, il y eut de la ferveur sur son visage.
Le « Face à face » avec Dieu commençait. Il n'a duré, hélas ! qu'un instant.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express