«Il y a quatre ans, tu m'aurais dit tu vas te retrouver dans le métro...» Le plus terrible pour les SDF, c'est qu'ils n'auraient jamais cru en arriver là
Quelquefois on a envie de dire comme le Lionel Jospin des Guignols : «Ils m'énervent tous!» C'est vrai qu'en ce moment il patine. Mais un peu de mémoire, que diable! Prenez l'affaire de l'audiovisuel, où la pauvre Catherine Trautmann se fait étriller. Tous les gouvernants ont cafouillé dans ce secteur. La réforme de VGE en 1974 s'est soldée par la mise en tutelle de toutes les chaînes publiques. Il n'y en avait pas d'autres. Plus tard, François Léotard, ministre de la Culture, a privatisé la chaîne qu'il ne fallait pas, la Une, celle que M. Bouygues s'est achetée. A propos, il vient de toucher un actionnaire, François Pinault, fidèle ami de M. Chirac, un grand fauve qui contrôle d'autre part la Fnac, «le Point», La Redoute-Printemps, Christie's et autres babioles. Peu de chances qu'il reste inerte, le cher homme. Plus tard, François Mitterrand a accordé des privilèges exorbitants à Canal+ et parrainé la création d'une cinquième chaîne où il a introduit Berlusconi malgré l'opposition de Jack Lang. Cela s'est terminé par un désastre. Alors faisons crédit à Lionel Jospin, même s'il prend son temps. Il ne peut pas faire pire. Mais l'audiovisuel plus le Pacs, il est évident que «ça l'énerve». On s'en est aperçu à l'Assemblée. Les femmes, souvent, sont émotives, cela est bien connu. Même Jeanne d'Arc a pleuré après avoir reçu une flèche dans la cuisse. Celles que le Premier ministre a lancées à Christine Boutin étaient bien ajustées. «Marginale sur ces questions, outrancière dans ses propos?» On a vu la victime éclater en sanglots bruyants. Au moment où la parité doit être votée, il serait bon que les aspirantes à la vie politique s'assurent qu'elles ont le cuir assez dur avant d'aller jouer dans la cour des hommes. On ne voudrait pas revoir un spectacle comme celui qu'a offert Mme Boutin. Ce trop fameux Pacs a fait l'objet d'une «Marche du siècle» où il y eut les pour, les contre? Un homme, converti à l'homosexualité, fut émouvant. Il a deux enfants qui lui disent : «Papa, t'es homosexuel, je ne t'aime pas.» Ils répètent ce qu'on leur dit. Lui espère qu'avec le Pacs le climat évoluera. Une jeune femme dit : «Le Pacs, c'est bien. Ça nous permet d'ouvrir les yeux sur les autres. C'est l'amour, l'amour de l'autre.» Une belle conclusion. Christophe Otzenberger a interrogé dans la rue une trentaine de personnes, chômeurs, SDF. Série d'instantanés percutants. Extraits : «Tu vas au boulanger, t'as pas 10 francs pour acheter du pain, tu bouffes pas.» «Il y a quatre ans, tu m'aurais dit tu vas te retrouver dans le métro à vendre un journal, j'aurais dit t'es fou.» «Je supporte avec l'alcool? C'est marche ou crève. Psychologiquement, tu t'en sors jamais.» «Faut se battre pour faire vivre l'entreprise, le lendemain on te fout dehors.» «La société, elle est pourrie. Je vis dans la rue et je ne suis pas d'accord, j'en ai marre, très marre.» Le SDF de 61 ans, diplômé d'enseignement supérieur : «Compression de personnel, on m'a licencié, depuis ce jour je n'ai pas retravaillé. Je dors dehors. Je ne vais jamais dans les foyers. J'ai horreur de la promiscuité.» Enfin, devant un homme agenouillé sur le trottoir, Otzenberger a interrogé des passants : comment vous réagissez? Les femmes n'ont rien dit, gênées? Et puis, qu'est-ce qu'on peut faire? Un jeune homme s'est arrêté, frappé, très frappé. «J'aime mieux être à ma place?» Lui donne toujours quelque chose mais : «Vous donnez deux fois, trois fois, quatre fois, et puis le dernier vous engueule parce que vous ne donnez pas? Ça me tue.» Que dire de plus? (Arte.) Un qui a épargné les nerfs de Lionel Jospin, c'est Dominique Strauss-Kahn répondant chez Michel Field aux questions récoltées parmi les spectateurs. Il est fort, il est très fort? Réponses claires, concrètes, sans jamais éluder, sans langue de bois, maîtrise de tous les sujets, pointe d'émotion. Je ne sais pas si DSK a convaincu mais il est fort. Jacques Chirac en campagne a ragaillardi ses troupes. C'est lui leur patron. Jean-Marie Le Pen, en conseil national, a divisé les siennes. Faut-il s'en féliciter? Le plus dangereux, au FN, n'est peut-être pas celui qui a la plus grande gueule. F. G.
Jeudi, décembre 10, 1998
Le Nouvel Observateur