Mai-68 à la louche

et si une insurrection analogue éclatait aujourd'hui?
Encore une émission sur Mai-68 et je tire mon revolver. Mieux vaut encore Cannes, et pourtant ces papotages et ces babillages dans la langue de bois des stars ou présumées telles sont insipides. Qui fera passer un souffle de fraîcheur sur cette institution que la télévision a phagocytée? Certes, on a pu voir en passant les seins ravissants de Sabine Azéma et ceux, plus modestes, de la charmante personne qui traite la météo sur Canal+. C'est ce que j'ai vu de plus éloquent. Mais deux paires de seins ne font pas un spectacle, et ces lambeaux de films destinés à leur promotion sont surtout bons à vous détourner d'aller les voir. Alain Resnais, qui en connaît un bout, a toujours interdit que des extraits de ses films soient diffusés. Simple sagesse. Dans cette confiture bruyante dont toutes les chaînes se sont tartinées, un moment de répit : l'entretien de Patrice Chéreau avec Ruth Elkrief sur LCI, la chaîne la plus agréable à voir depuis quelque temps. Chéreau est le charme même, et la simplicité. Il avait quelque chose à dire de son métier où il n'a pas toujours été heureux, au cinéma du moins, mais cette fois, foin des mignardises pomponnées de «la Reine Margot», Chéreau s'éclate. («Ceux qui m'aiment prendront le train»). C'est dur, c'est drôle et il ne débitait pas, pour en parler, les platitudes d'usage. Mais peut-être suis-je injuste et y en a-t-il eu d'autres, qui ont montré quelque originalité à quelque moment de la nuit. Ils auront échappé à mon magnétoscope saturé. Mai-68, c'est une autre histoire. On comprend que les réalisateurs de tout poil aient été grisés par la richesse du matériel d'archives dont ils disposaient. Malheureusement, c'est toujours le même, vu et revu jusqu'à l'écœurement, sans parler de la presse écrite, bourrée jusqu'à la gueule. Pourquoi? Ma théorie, peut-être fausse, est qu'il existe un sentiment diffus autour de Mai-68, crainte chez les uns, espoir chez les autres, qu'une insurrection analogue ne se déclenche, l'une de ces grosses secousses dont Paris a le secret depuis la Révolution. 1830, 1848, 1870, 1968, 1995. Toutes choses égales, c'est dans l'air du temps. Et chacun pense être en phase avec le spectateur ou le lecteur en lui administrant du Mai-68 à la louche. A cet égard, l'esprit du dernier document, diffusé par Arte était significatif. On vit d'abord Jean Gandois, patron de Pechiney, supprimant 100000emplois. Ensuite «l'attaque contre la protection sociale des cheminots», puis la rébellion des sans-logis, «le soir où Paris s'apprêtait à festoyer» . Enfin, surgit l'image du Premier ministre ridiculisé par un groupe de chômeurs. Bref, tous les prodromes de l'insurrection étaient posés. C'est ce qu'on appelle un film engagé. On a le droit. Mais que l'on en passe plusieurs comme ça et il ne faudra pas s'étonner si quelques personnes impressionnables expédient leurs capitaux et leur famille en Angleterre ou en Suisse. Un Allemand remarqua : «Cettedéploration est indigente. Alors que nous sommesau début de quelque chose. Aucun raisonnementintellectuel ne la justifie. C'est un étalage de bons sentiments.» Alain Touraine, enfin, donna son analyse : «En 1995, les cheminots défendaient un régime de retraite supérieur à tous les autres. Les sans", c'est autre chose. Nous sommes devant un effort considérable pour sortir d'un libéralisme sauvage. Tous les pays ont de 20 à 25% de gens en état de précarité ou de chômage. Il est bon que des mouvements sociaux les défendent. Ça m'ennuierait que le discours politique les récupère.» En attendant, des apprentis sorciers font bouillir le chaudron... Je ne sais pas quel cachet Citroën a versé à Claudia Schiffer pour participation à la publicité de son nouveau modèle, mais c'est trop.On a envie d'acheter Claudia Schiffer. Pas la voiture. «Sirop gominé» ... C'est quoi cette guimauve? Ce fut, selon «le Monde», le point de vue des Européens sur Frank Sinatra. La guimauve leur a fait un bras d'honneur. Avec sa voix de sable chaud et son ?il myosotis, Sinatra a été le chanteur le plus populaire du monde. «Strangers in the Night», «I've Got You Under My Skin» et tant d'autres chansons soyeuses à écouter la nuit, combien ont cru, à travers elles, aimer l'Amérique... Et on se moquait bien de savoir si le rital fricotait avec la Mafia! F. G. "

Jeudi, mai 21, 1998
Le Nouvel Observateur