L'ombre d'un crime

il ne faut jamais tomber entre les mains de la justice
Pacs : couac. N'y a-t-il pas un ministre chargé des Relations avec le Parlement ? Quel que soit le responsable, cela fait désordre, cette débandade dans la majorité. Crise : les experts caquettent, dépassés, comme toujours, par les événements (« Polémiques »). L'économie n'est pas une science exacte. Elle sait analyser des résultats. Mais dans l'ordre des prévisions, elle vagabonde. Aussi, sur toutes les chaînes, entend-on tout et n'importe quoi. Le sûr est qu'un système est en train de craquer et que cela va faire mal. Jusqu'où ? Il me semble que dans son intervention le Premier ministre a été bien court sur ce sujet. Charles Pasqua l'a fait remarquer, en termes modérés (« Public »). Le vieux bretteur, en rupture de ban avec le président de la République, s'est fait la figure de Jeanne d'Arc, prêt à mourir sur le champ d'honneur d'Amsterdam pour délivrer la France de l'étreinte européenne. Il en serait presque attendrissant. Faut-il que la rentrée littéraire soit fade pour que le roman de Michel Houellebecq fasse événement. Non que ces « Particules élémentaires » soient sans intérêt dans leur salace mélancolie, mais ce qu'il y a de gluant là-dedans détourne d'y trouver plaisir. L'auteur paraît le premier étonné par le tapage qu'il provoque, et c'est plutôt sympathique, cet air qu'il a de tomber des nues. Ainsi l'avons-nous vu, chez Bernard Pivot, fumant cigarette sur cigarette comme pour se donner contenance pendant que Philippe Sollers le couvrait de fleurs et Marie Nimier d'épines, vaguement indifférent à ces courants contraires, non encore familier avec la télévision. Mais qu'un prix lui tombe sur la tête et il saura, comme tout le monde, parader. Sollers vendait son « Casanova » comme si les Mémoires du divin libertin étaient en danger d'interdiction. Il annonce, feu et flammes, le retour de l'Inquisition. Mais Casanova est un bébé à côté de ce qui se publie aujourd'hui et qu'illustrait une jeune femme au langage cru, Virginie Despentes, avouant tristement : « J'ai un compte à régler avec les hommes... » « Droit d'auteurs » accueillait deux romanciers non négligeables, François Sureau (« Lambert Pacha ») et Olivier Rolin (« Méroé »). L'un a écrit sur l'Egypte, l'autre sur le Soudan, fuyant dans l'exotisme pour dire « la tristesse d'être français ». Ils n'étaient pas exactement roboratifs, mais tous les deux sont des écrivains ardents qui manient bien la prose, ce qui n'est pas à la mode du jour. « On n'oublie rien de rien, on n'oublie rien du tout, on s'habitue, c'est tout. » Figé dans sa gloire si tôt fauchée, Jacques Brel résiste à peu près à l'usure du temps. Diverses rétrospectives lui ont rendu hommage où on le retrouvait tendu, vibrant, drôle, tragique, tel qu'on l'a aimé, tel qu'on l'aime encore, écorché, brûlant et tendre. Qui n'a jamais eu peur de faire l'objet d'une erreur judiciaire ? Quelques histoires affreuses furent évoquées dans une « Marche du siècle » essentiellement consacrée à Omar Raddad, le jardinier accusé de meurtre, condamné à dix-huit ans de prison et récemment gracié. Il était là, visage clos, murmurant : « Je n'arrive pas à manger, je n'arrive pas à dormir... », écoutant sans broncher ce qui se disait de lui. A peine cillait-il de temps en temps. A-t-il commis le crime atroce dont il a été accusé ? Est-il l'innocente victime d'une instruction bâclée parce qu'il faisait un coupable commode désigné d'entrée ? Son avocat, Me Vergès, démonta toutes les incongruités de cette instruction et on était prêt à le croire quand un journaliste, M. Foucart, prit la parole pour démontrer tout le contraire. Pourquoi ne pas dire qu'il fut troublant ? Que l'ombre du crime planera sur le jardinier marocain au visage impénétrable jusqu'à ce qu'ait lieu un procès en révision ? Horrible histoire. Ah ! Il ne faut jamais tomber entre les mains de la justice. Autre chose, enfin. On sait que « Palettes », l'émission d'Alain Jaubert sur la peinture, consacrée chaque fois à une toile importante, est une perfection dans son genre. Pédagogique, didactique, pas trop, juste assez pour que l'oeil découvre ce qu'il n'avait jamais vu dans les oeuvres les plus connues. Cette fois, c'est « la Vierge au chancelier Molin », de Van Eyck, qu'il passait sous son laser. Leçon d'histoire autant que de peinture, ce fut un enchantement (Arte). F. G.

Jeudi, octobre 15, 1998
Le Nouvel Observateur