Portrait de Marie Curie, première femme autorisée à siéger à l'Académie des sciences. Rappelle le refus qui lui fut opposé en 1911.
Divine surprise ! Une femme, Yvonne Choquet-Bruhat, physicienne, siégera désormais parmi les cent quarante membres de l'Académie des sciences, fermée jusqu'ici aux personnes du sexe.
S'il est vrai, comme l'assure le président de la République, que l'intelligence y fourmille et qu'elle est la richesse de la France, l'admirable est qu'il ait fallu soixante-neuf ans pour reconnaître que cette intelligence — scientifique ou autre — n'a, pas plus que la stupidité, élu le cerveau masculin pour se manifester.
En janvier 1911, l'Académie des sciences, qui comptait alors cinquante-huit membres, refusait en effet d'accueillir Marie Curie sous la Coupole, alors qu'elle avait déjà isolé le radium, partagé le prix Nobel de physique avec son mari et Henri Becquerel, et qu'elle allait, à la fin de la même année, recevoir seule le prix Nobel de chimie.
Son rival au siège qu'elle postulait n'était pas nul, il est vrai, puisqu'il s'agissait d'Edouard Branly, qui avait découvert la « radioconduction », dont Marconi fit la télégraphie sans fil.
Mais l'allergie de l'Académie au féminisme, véhément d'ailleurs, de l'époque était telle que, le jour de l'élection le président de séance ordonna aux appariteurs : « Laissez entrer tout le monde sauf les femmes... »
Marie Curie, qui avait en particulier l'appui d'Henri Poincaré, le grand mathématicien du temps, et du secrétaire permanent de l'Académie, Gaston Darboux, réunit tout de même vingt-huit voix au premier tour, contre vingt-neuf à Branly et une au physicien Marcel Brillouin. Au second tour, au milieu d'un vacarme inouï, Branly obtenait trente voix « dans des conditions à faire rougir un singe », assura un témoin. Le malheureux n'y était, disons-le, pour rien.
Humiliée jusqu'au fond de l'âme, Marie Curie ne présenta plus jamais sa candidature. L'année suivante, elle signait un appel en faveur des suffragettes anglaises emprisonnées qui faisaient la grève de la faim, bien qu'elle n'ait jamais été à proprement parler une militante du féminisme. Les mécomptes qu'elle avait essuyés n'y furent sans doute pas étrangers.
Plus que son échec académique en face d'un adversaire honorable et qui avait vingt ans de plus qu'elle, c'est la nature des arguments employés par ses adversaires qui est intéressante.
Branly, professeur à l'Institut catholique, nommé par Léon XIII commandeur de l'ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, était le candidat de la droite nationaliste et antisémite. Marie Curie, soutenue par les libéraux, les féministes et les anticléricaux, fut attaquée avec une extraordinaire violence par l'Action française et l'Intransigeant. Non seulement il allait de soi, à les lire, que Marie Curie n'avait rien découvert du tout sinon un époux de génie assez bon pour faire rejaillir sur elle sa gloire, mais elle était, ô horreur, étrangère. La « Polonaise » n'était arrivée en France qu'à vingt-quatre ans, elle portait un nom impossible — Sklodowska — et, en cherchant bien, n'aurait-on pas pu lui dénicher un grand-père juif ? Non. Mais on pouvait toujours le suggérer. Ce fut fait.
Sur le premier point, Marie Curie, première femme docteur ès sciences physiques en France, première femme professeur en Sorbonne, savait qu'on ne lui ferait pas de cadeau. Il faut lire son discours prononcé à Stockholm lors de la remise du prix Nobel de chimie pour voir comment elle met les points sur les « i ».
« L'étude du rayonnement de l'uranium a été étendu aux autres substances, par moi d'abord, par Pierre Curie et moi ensuite... » « Tous les corps émettant un tel rayonnement ont été nommés par moi radioactifs... »
« L'isolement de cette substance a fourni la preuve de l'hypothèse faite par moi d'après laquelle la radioactivité est une propriété atomique de la matière... »
« Le travail chimique qui avait pour but d'isoler le radium et de le caractériser comme élément a été effectué spécialement par moi... »
Sur le second point — l'étrangère — il est bien vrai que si les universités polonaises avaient été ouvertes aux filles, Marie Sklodowska ne serait jamais venue faire ses études à Paris. Elle aurait pu aussi bien, d'ailleurs, choisir d'aller à Cambridge ou à Berlin.
Il se trouve que son génie rencontra la France et que cette rencontre fut superbement féconde. Mais on s'amusera peut-être d'apprendre que, lors de l'émission du timbre édité à son effigie pour son centenaire, en 1967, des instructions formelles furent données pour que la photo à partir de laquelle le dessinateur aurait à reproduire son visage soit choisie parmi celles « où elle n'a pas l'air polonaise ».
On ne pouvait pas, hélas, empêcher qu'elle eût, sur toutes ses photos, l'air d'une femme.
Mardi, octobre 29, 2013
Le Monde
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