Pourquoi la guerre d'Algérie et pas la rue Transnonain, par exemple, où, pendant les journées insurrectionnelles d'avril 1834, la troupe massacra sans motif la population terrée dans les immeubles? C'est au maréchal Bugeaud que l'on chercha ensuite des crosses jusque dans les garnisons, indignées, mais il n'est plus là pour faire repentance. L'histoire est un tissu d'horreurs. Chacun est libre de penser qu'il faut les faire passer en boucle sur notre écran national. Je ne le crois pas. Par mes fonctions à «l'Express», pendant les années de guerre, j'ai été intimement liée à la dénonciation véhémente de la torture. Ce fut une période très dure. C'était il y a quarante ans et plus. On ne peut pas dire qu'ils furent nombreux, ceux que cette abomination dérangeait excessivement. L'admirable figure du général de Bollardière, envoyé en forteresse après avoir dénoncé publiquement, le 27 mars 1957, l'usage de la torture par l'armée, ne doit pas cacher combien il fut seul. Faut-il se féliciter du «succès» subit de la torture aujourd'hui où le repentir est à la pointe de la mode? Qu'on ranime son souvenir s'il s'agit de donner aux historiens la faculté d'en rechercher et d'en décrire jusqu'aux plus sombres aspects, rien ne devrait s'y opposer. Il est bon que les faits soient connus et forcent la réflexion sur la facilité avec laquelle des hommes éduqués se conduisent comme des bêtes sauvages pour peu qu'on les mette en situation. C'est bien de le montrer, même si l'on souffre que ceux-là aient été, en l'occurrence, des Français. Mais la torture devenant un sujet de bavardage, de table ronde, d'interpellation, de manœuvre politique grossière, de sondage bientôt ? Etes-vous pour? Contre? Sans opinion peut-être? ?, la torture exhumée pour embarrasser les dirigeants français actuels qui n'y sont pour rien, non. Quant à leurs prédécesseurs, rien ne s'oppose à ce que les historiens recherchent leur part de responsabilité. Quand on l'aura trouvée, il sera temps de pratiquer l'autoflagellation nationale. D'ici là, de grâce, accordons-nous un répit dans le jeu ambigu de la repentance en forme de purge. Elle n'a jamais lavé l'honneur une fois souillé. LCI a inauguré une «Heure politique», le samedi en fin de journée, qui renoue avec les vieilles traditions. Sur la sellette, Michèle Alliot-Marie. Elle a fait il y a un an une entrée fracassante sur la scène politique. Question : qu'en reste-t-il? Une garde-robe assurément, c'est, dit-elle, une forme de politesse. Ce n'est pas faux. Mais qu'il est donc dur d'être une femme en politique puisque tout ce que l'on fait est soumis à ironie. On ne saurait dire que cette guerrière appelle la compassion, mais quand elle dit, pour expliquer son agressivité: «Je ne maîtrisais pas très bien la télévision au début», on imagine qu'ils furent durs. D'ailleurs, elle ne maîtrise toujours pas vraiment la télévision. Il faut travailler, Madame, il faut travailler. Quel sera le cœur du programme du RPR pour les futures élections? «Ce qui nous manque, c'est un mot ou deux fédérateurs? La personne humaine, peut-être?» En face d'elle, on a un moment de stupeur. Serions-nous schizophrènes? C'est à croire. Un décret du 28 août 1987 dispose que «la télévision publique est investie d'une mission culturelle, éducative et sociale [dans] le respect constant de la personne humaine». Mais la semaine dernière l'Assemblée a voté une rallonge au service public et en particulier à France 3, qui diffuse trois fois par jour des confidences intitulées par exemple : «Je ne supporte plus les poils», «J'aime montrer mon corps», «Elles sont toutes folles de moi», etc. Marc Tessier, patron de France Télévision, peut se féliciter, l'audience est excellente. Le public, on sait ce que c'est, aime la fesse et le gras qui est autour. A France 3, on fait remarquer aux esprits chagrins que la chaîne ne s'adresse pas à quelques Parisiens sophistiqués mais aux«vraies gens», comme on les appelle, avec un mépris phénoménal. Il n'y a pas de quoi faire une histoire de ce dérapage calculé. Partout la télévision est tirée vers le bas par internet. Marc Tessier aura seulement anticipé sur un mouvement implacable. Madonna en chair et en os sur Canal, parlant et chantant. C'est un cas, cette créature. On ne sait pas ce qu'elle a, mais elle l'a! F. G.
Jeudi, novembre 30, 2000
Le Nouvel Observateur