L'examen du Président

Décrit et analyse la première conférence de presse télévisée de Pompidou. S'interroge sur l'identité de ce nouveau président.
L'EXAMEN DU PRESIDENT

FRANÇOISE GIROUD

D'abord le trac, intense. Il creuse certains visages. La face du président de la République, poudrée à cause de la télévision, en était au contraire comme arrondie quand il parut, sur sa petite estrade tendue de soie jaune.
Et pendant un instant, l'homme qui dans ce salon doré de l'Elysée, lourd de douze lustres géants et de cariatides aux seins nus, succédait à de Gaulle, fut à proprement parler émouvant.
Le costume bleu marine bien coupé semblait soudain de confection ; le sourire plaqué, le geste gauche comme il arrive quand on réprime un tremblement.
Toute politique mise à part, on avait envie de lui tenir la main et de lui souffler : « Détendez-vous... N'ayez pas peur... Ils ne sont pas méchants. Ça ira très bien, vous verrez. »
Sans doute n'est-ce pas le sentiment qu'un chef d'Etat doit, dans sa fonction, inspirer. Mais, pour une fois, il n'y a pas de honte. Il serait seulement fâcheux qu'il y en eût une seconde. La hauteur, nous en avons eu pendant onze ans notre compte. Reste à trouver la juste altitude.
Que l'on soit ou non favorable à M. Pompidou et à sa politique, on doit souhaiter qu'il s'y place rapidement, et, le cas échéant, l'y aider. Il est président de la République pour sept ans.
Aussi bien, l'épreuve qu'il affrontait jeudi était rude. Certes, on avait changé d'orientation. Celle des chaises. Réduit à cent soixante le nombre de journalistes français et étrangers accrédités. Supprimé le spectacle déprimant d'un gouvernement au complet écoutant la voix de son maître, pour le remplacer avantageusement, du point de vue esthétique, par M. Chaban-Delmas et Mme Simonne Servais, attachée de presse de l'Elysée.
Les détails d'une mise en scène ne sont jamais négligeables. Mais personne n'a joué Britannicus après Mounet-Sully sans s'exposer à la comparaison.
M. Pompidou l'a affrontée dans de mauvaises conditions, mauvaises car il n'avait, semble-t-il, rien ou peu à dire.
Dès lors, il était clair que, privée de fond, la forme de sa conférence de presse allait retenir toute l'attention.
Elle fut plate. Ou bien le parut-elle parce que la mémoire était encore bruissante des récitals donnés dans le même lieu par un virtuose du verbe ?
Pendant onze ans, nous avions été, sous ces lustres, au théâtre, ou à la messe comme on voudra, figurants convoqués pour fournir l'illusion d'un dialogue qui n'en fut jamais un, assoupis parfois par de longs développements, mais toujours réveillés au son de l'une de ces fusées qui, pendant huit jours, faisaient parler. Volapùk, jean-foutre ou chrysanthèmes.
Dans le privé, M. Pompidou ne manque pas d'esprit. Où l'avait-il caché jeudi ? Sous quel excès de modestie et d'affabilité qui nuisent à sa physionomie comme ces maquillages qui empâtent les traits ?
Hors une belle incidence sur la Renaissance où il parut soulagé, comme un élève interrogé sur ce qu'il connaît bien, ce ne fut pas précisément un feu d'artifice.
On dira que le président de la République n'est pas élu pour faire des mots, et on aura raison. Qu'à le voir répondre, avec application, aux questions qui lui étaient adressées par des journalistes eux-mêmes peu rompus à l'escrime des véritables conférences de presse, on peut espérer qu'à l'avenir les dialogues de l'Elysée auront véritablement pour objet d'informer le pays de sa situation et des raisons d'une politique, au lieu de servir à s'envoler, de
l'Atlantique à l'Oural, sur les ailes de la rhétorique. Et qu'il y a là matière à se réjouir. C'est vrai.
Mais nous n'en étions pas là, et toute magie absente pour faire sortir le lapin du chapeau, il restait un monsieur bien cordial, bien aimable, qui semblait, une fois son aisance recouvrée, esquisser un projet un peu vague de gestion pour une entreprise moyenne, en assurant que, bien sûr, les fabrications traditionnelles continueraient malgré la retraite du fondateur.
Les questions relatives à la politique étrangère lui furent prétexte à une bonne réponse à propos de la négociation sur le Vietnam, où il assura que la France joue « un rôle quotidien, peu voyant, qui n'est pas toujours inutile ». Bonne réponse parce que, soudain, on y croyait au lieu d'être soumis à l'un de ces exposés planétaires où nous avions coutume d'apprendre que la diplomatie française régnait sur toutes les chancelleries du monde.
Mais, manifestement, le nouveau président de la République n'est pas plus à sa main dans le domaine des affaires internationales que son illustre prédécesseur ne l'était quand il abordait les affaires économiques. A cet égard, la situation semble s'être d'un coup renversée.
Quand le général de Gaulle énumérait des chiffres, on se disait : « Quelle mémoire ! » Quand M. Pompidou parle de l'U.R.S.S., de l'Allemagne, de l'Angleterre ou de l'armement nucléaire, on se dit : « Il n'a rien oublié de ce qu'en d'autres temps on lui a appris. »
Qui est le nouveau président de la République ? Une fois de plus, on est tenté de se poser la question après l'avoir vu dans l'exercice périlleux dont il s'est médiocrement mais honorablement tiré, tant il apparaît qu'il y a plusieurs hommes en lui et qu'il ne sait pas encore très précisément lui-même lequel occupera l'Elysée.
Parmi tous les personnages que tour à tour il évoque, comme s'il les essayait, l'un d'eux semble si visiblement ébloui par ce qui lui arrive qu'il n'a pas encore entièrement dominé sa surprise.
Cela, sans doute, est plus sympathique que s'il avait jugé naturel de devenir le premier des Français. Mais il est temps qu'il s'y habitue. Sinon, c'est nous qui finirions par nous en étonner.

F. G.

Mardi, octobre 29, 2013
L’Express